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texte Jean-Jacques Camy ill. Autoportrait en fumeur by Otto Dix 1913
De ce visage sévère,
le plus souvent consterné de fumée,
il en faisait autoportrait.
La bouche béante
rejette la fumée comme
une bouche à feu.
J'ai vu des pigeons perchés en hauteur,
qui se gonflaient comme des aigles,
jaugeant leur territoire.
J'ai vu aussi un œil grand ouvert sur nous
qui se referme aussitôt, ennuagé par les volutes.
J'ai vu de mes yeux
le laid qui succède aux années folles,
le visage mal rasé au regard obstiné.
Les doigts se brûlent au mégot,
la cicatrice n'est pas visible.
Aucune lézarde ne témoigne
de la ruine qui sape l'édifice.
Je reviens encore à la fumée
Expulsée, qui voile la lumière,
à l'homme qui continue à se consumer,
bien que le feu eut cessé,
depuis longtemps.
in nouveau délit n°78 avril 2024
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texte de key mignot ill. barbara le moëne*
Détruire ce corps. Déchirer chaque parcelle de peau. Brûler chaque morceau de chair. Disparaître pour renaître ailleurs. S’aimer, mais pas tout de suite. Voir s’effondrer les contes de fée de l’enfant. Voir les Hommes s’entre-déchirer. Les laisser pourrir pendant qu’on mène un autre combat. Celui contre soi-même. Peu importe le résultat, le gagnant n’en sortira pas indemne.
Vivez.
texte paru dans Nouveaux Délits n°65 janv 2020
* illustration courtesy barbara le moëne
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texte de murièle modély photo Brassaï*
souvent
quand nous faisons l'amour
je pense
au repas du dimanche
le poids sur l'estomac
cette ambiance empesée
tous les deux le dimanche
si cruellement gais
chacun bien à sa place
et de l'autre côté
le verre
l'assiette devant la chaise vide
quand nous faisons l'amour
je pense souvent
au bréchet sous la dent
le jus qui coule
cette triste violence
de la chair mâchée
pendant que nous faisons
j'entends
j'attends
la reddition de l'os
mes jambes écartées
la douleur qui se tend
dans tes muscles bandées
nos corps qui trompent
tu fais l'amour je baise
sous la table je jette
la torsion le plaisir
les bouts de verre brisédans le trou où tout tombe
souvent
* photo intitulée "le phénomène de l'extase" c.1933
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texte de xavier grall ill.Jacques Basse
... Nous portons dans nos têtes des siècles sacrifiés. Nous ramons à contre-courant dans un lac obscur, nous sommes les rameurs malades d'un océan vaincu à reconquérir, nous sommes les Celtes morts qui s'en reviennent, les chiens bleus et brisés de la route latine, nous sommes les fugitifs de la grande ombre asilaire, nous sommes partis sur nos barques sensibles, nous sommes les boucaniers insolents et les pilleurs de nos propres épaves, nous savons les algues et les marées... Maudits sans doute, mais il nous faut aller jusqu'au bout de la malédiction, afin de toucher enfin, libres, aux rives radieuses d'innocence.
... Alors ceci: la bretonnité qui se tâte, s'éprouve, s'exaspère en se cherchant en dehors des règles et des parapets, serait-elle semblable à la négritude tragique de Harlem ou de Port-au-Prince?
... A la fin, qui sommes-nous donc? Des voyants ou des aveugles? Des êtres libres ou de pitoyables aliénés?"
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