• l'oeil & la plume... rues

    texte & illustration par le salut invérifiable d'un idiot souterrain

     

     

    nous veillons sur la sécheresse

    car l’ancien monde s’en est allé

     

     

            Un homme gras croit assumer quelques perversités qui ne sont pas les siennes. Visiblement son costume coûteux le protège. Les automobiles sont aux aguets. Chaque morale permet toutes les logiques de concurrence, luttes mortes & meneurs, l’inconséquence des artistes & les hommages intéressés. L’ombre boiteuse de la haine, le désarroi des maîtres, une longue attente, défilé des pénitences & des humiliations, l’impuissance des massacres : il faut fuir & sourire. Le soupçon est notre seule confiance. Les conventions ont le poids d’un vêtement, souvenir des ruines, douleur des saccages, de ces gestes que personne ne peut retenir, mais ni l’électricité ni les incendies n’éclairent les nuits. Les sagesses manquent de circonstance. Postures vitrifiées, aigreurs promises, lourdeurs inévitables : ici les élégances ténues n’ont pas l’avantage. Humour des chenils ! Les machines piétinent les limites humaines, les étoiles se déploient & se noient, sans assignation, également indifférentes à nos conquêtes & à nos plénitudes, à nos morts & aux maladies de nos esprits.

     

    […]

     

    Les haines communes ne peuvent produire que des tristesses communes. Abstractions concrètes des idéologies, des croyances, ces lueurs dérisoires pour des puérilités abreuvées de craintes : qui les assume produit de tristes effets. Les chiens ne sont-ils jamais fatigués ? L’excès donne le vertige, ses obscurités sont-elles la promesse d’une autre clarté ?

     

    […]

     

    Nervosisme irritabilité prescriptions, meurtre sur ordonnance : les mois passent sur ces états péremptoires & d’autres angoisses. Façades de verre, doctrines, la brise printanière de la réforme, & les bibliothèques sont convenues. Politesse de chaque désolation, sirènes incompréhensibles, mécanique des faces, les émeutes lointaines sont romantiques, usure multiple. Casernes, blouses, néons, chaque catastrophe est commentée. Soleils de chimie, chiens de la miséricorde, les sourires de triomphe sont exsangues : chaque choix s’impose.

     

    […]

     

    Les modernités trépassent. L’actuel jauge tout, c’est l’antiseptique de la confusion. Douceurs de l’enlisement, les ciels parcourus : il n’y a pas de lointains dans les villes rectilignes. Quelque chose glisse & se faufile le long des nuits, l’étonnement se gorge de terreurs, au fond des chambres emplies de musique amplifiée, lueurs blanches & frissons, profils courbés sous le poids des nuques, & les intensités écarquillées. C’est un miracle troublant, pourtant, une ville qu’un fleuve partage.

     

    […]

     

    Pauvretés rutilantes des lieux où il faudrait travailler, relégation jusque dans les maisons, cages ! Seuls quelques incidents rares & étonnants ont la saveur d’un éveil, creuset d’autres lumières futures. Cœur froid, l’esprit brûlant, lambeaux de peau craquelée, les sobriétés d’ici ne sont que des rigueurs maladives. Le sommeil est cassé, nos mondes sont fuyants, quelques miettes de vin sur les lèvres sont le seul programme. La danse ne défait-elle pas les peuples ? Mais les horreurs nous traversent à la lumière des lames, pour la seule évidence d’une mystique singulière : le brouillard électrique qui aiguise. La nuit n’est plus que ce visage piétiné, la métaphysique des litres.

     

    […]

     

    S’efforcer de noter des sensations, malgré l’heure des complications, ne plus confondre le noir qui s’étale & le ridicule qui est réel : chacun est pour l’autre une évidence sans perfection. Cette morsure épuise. Le grondement des foules est exclusif, les rues sont insidieuses & sans entailles. Ce printemps est pâle, & les chiens sont obèses.

     

    […]

     

    Les rues se vouent à des terreurs nouvelles. La rencontre est manquée. Chaque lieu ici a le goût de ce qu’il faut quitter, d’une concession perpétuelle. Il doit y avoir une méthode de fracturer ces têtes ! Car leurs pitiés ne semblent être que des dispositions hasardeuses, rien n’est vrai que les horreurs premières. Le spectacle est automatique & la nuit n’est pas étoilée. Les idolâtres sont étranges, tout est collant ou trop lisse, impressions osseuses, & malgré les médiocrités elles sont pleines d’une sauvagerie étonnante. Ventres ! Le goût perdu des figures ! Quels gestes pourraient démonter le jour des automates ? L’horreur est urbaine, le vide est un vertige, la méthode double est unique. Le noir arbitre.

     

    […]

     

    La broussaille des esprits heurte plusieurs rigidités. Leur simplicité est belle. La chair est bardée du chant, jeunesse & initiation doivent passer, convenir sans plaire. Il y faut le courage commun. Chaque rue produit un vocabulaire, des angles & ses postures d’os, chaque désastre & ses divisions produit un enseignement. Les savoirs inculqués d’autres jeunesses moins sinistrées ne produisent que des certitudes.

     

    […]

     

    La maison commune n’est plus rien. Les tranchants de l’individualisme commun sont sans bienveillance. Il n’y a plus vraiment d’ordre, mais des transgressions qui s’acclimatent. Aucun verrou n’est permanent, rien n’est permanent, & d’autres singularités plus farouches sont pour l’instant sans orgueil. Les visions de manganèse ne sont pas la prémisse à ce qui croupit dans les écoles & les musées : le grand oblique de l’abdomen !

     

    […]

     

    Le fatras des certitudes ne rend pas l’ennui moins poisseux. Le dégoût est puissant. Leurs cervelles moites ! Les ventres croupis ! Des ombres glissent & elles sont fourbes, les haines ne peuvent être qu’intrusives, promiscuités & tribunaux. La pluie est étouffante. Paix de caserne, partout rôde la grimace qui permet les massacres. Aucun siècle qui puisse apporter une satisfaction. Ces rues grouillantes s’hérissent de crocs, garrottent les corps innocents, paix des révoltes, & la curiosité qui reste est pour le salut : les poisons !

     

    […]

     

    Cette conjonction est une chance ambiguë, mais la conversation est presque morte. Les rues sont dures. Joyaux d’asphalte des nuits de verre pilé, métal bouilli, nerfs emportés ! Il n’y a pas d’autre manière de dissoudre les blocs de l’ennui. Paix armée. Béton & ciment sec, brûlure des anecdotes, partout l’accueil est minéral. Partout les hommes vont par deux, mais le fleuve semble ignoré. Les destructions rêvées ne laissent pas de trace ; panneaux gras & itinéraires certifiés, ici l’ornière sèche, ailleurs l’impudence des images. Climats des violences ou des mensonges bien nés, le bonheur marchand : ces rues ne mènent pas plus loin. Les débauches sont désamorcées.

     

    […]

     

    Ambiances sans mélange où sont déversées ces évidences : le consensus des égalités décrétées, la sévérité des logiques marchandes, les médiocrités sans pitié, les satisfactions féroces ! Quelle parole pourrait brûler sans se consumer ? Les rues rousses ! Les cerveaux sucrés contre les nuits de givre !

     

    […]

     

    Les rues n’ont pas d’orientations hasardeuses. C’est un décor de croûte durcie où les vies s’essorent. Il y a quelques folklores climatisés. Elles ne connaissent rien des fatigues & du repos nécessaire. Aspérités sans effluves, paroles rares & industrielles, & ce qui reste est pour le dressage des yeux. Quelques enfants sont alignés pour on se sait quel départ, mais les allures d’innocence ne reviendront pas. Hygiène policée, dureté sans finesse de néons, abondance de tous les besoins insinués qui ne furent jamais des désirs, chaque automate trouvera ici de quoi tenir son rôle & son rang.

     

    […]

     

    Le fleuve ! Quelle est la nuit définitive qui ne laisse rien derrière elle ? Quel est le point où l’on ne revient plus sur ses pas ? Nous sommes l’écume d’une vague très belle, au soleil, sur une plage de novembre. L’équilibre est une entaille. Les époques ne s’éclairent qu’à peine les unes les autres, & les climats sont incomparables. Les étrangetés illégitimes préservent des familiarités exécrables. Il faudrait que certaines fureurs s’éloignent, il faudrait que la banalité soit un refuge, mais cela ne sera pas. La houle des villes que les vents ne marquent pas. Comment vivre ? Comment chevaucher les époques & les désastres, conquérir les rues ? La menace ! Les meutes ! Le vide & ses superbes ! Le frisson de l’intuition ! Mais partout les tribunaux se dressent, la fourberie n’est pas plus verte qu’autre chose. Lui sera toujours un enfant triste, étonné de se voir abandonné après tant de méchancetés si sincères. & la mort nous dépliera vers un envers qui n’est pas & ne nous concerne en rien. Un futur qu’on saccage est encore une certitude, malgré tout, & cette étrangeté illégitime ne peut rien revendiquer. Ce sera toujours l’exil au pays de l’éveil, & le millier d’années des oiseaux.

     

     


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  • l'oeil & la plume...

    texte de corinne le lepvrier                                              photocollage  jlmi  2013

     

     

    inclusions*

     

    comment dire les femmes

    comment dire les plissures des femmes

    comment dire l'origine des plissures des femmes

    comment dire les anfractuosités de l'origine des plissures des femmes

    comment dire l'écorce des anfractuosités de l'origine des plissures des femmes

    comment dire le désir de l'écorce des anfractuosités de l'origine des plissures des femmes

     

    comment dire les plissures de l'origine des anfractuosités de l'écorce du désir des femmes

    comment dire l'origine des anfractuosités de l'écorce du désir des femmes

    comment dire les anfractuosités de l'écorce du désir des femmes

    comment dire l'écorce du désir des femmes

    comment dire le désir des femmes

    comment dire les femmes

     

     *à la lecture de "La tectonique des femmes", Marcel Moreau, 1er texte, page 7, 6 substantifs prélevés

    extrait de la femme, elles, je ; recueil publié aux éd Rafael de Surtis, 2012

     


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  • l'oeil & la plume...

    texte de jack micheline  1958                                            collage  jlmi 2013

     

    Je veux du vin

    les cailloux

    dans ma tête

    ne se transformeront pas en pain.

    Aujourd’hui, c’est mon anniversaire

    cinquante-six ans

    et tout ce que je possède

    c’est une poche vide.

    Ma vieille figure de poivrot

    est toute vérolée et balafrée.

    Je tremble méchamment

    de tous mes membres

    dans cette foutue brise glaciale.

    Ai voyagé loin

    avec des centaines de guitares

    la petite musique dans mon crâne

    vacille et s’éteint

    Me suis traîné sur une béquille

    sur plus de dix mille kilomètres

    à chercher des sourires

    à fredonner des mélodies

    pâtée pour chien

    couteaux de cuisine

    néon éblouissant

    dans le fauteuil d'un coiffeur.

    Mes gosses sur la route

    depuis très longtemps

    et ma femme

    complètement dérangée

    depuis tant d'années.

    Le bleu du ciel c'est à travers

    des picrates rouge sang

    que je l'ai regardé

    désir vampire

    vivant ma vie

    avec le Christ.

    La mort m'a pourchassé

    ici et là.

    La vie en moi

    s'éteint vite.

    Faut que je me colle à la route

    la route

    la route

    tirer sur mon mégot

    c'est toujours trop long

    quand je suis parti

    parti

    parti

    Aujourd’hui c’est mon anniversaire

    et le blé ne va pas

    pousser dans ma tête

    je veux du vin

    du vin…

    du vin.

     

    in un fleuve de vin rouge & autres poèmes ed dernier télégramme 2013 trad Alain Suel

    mis en ligne en 2005  http://academie23.blogspot.fr/2005/11/un-pome-de-jack-mic...

     

     


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  • l'oeil & la plume... il y a ceux

    texte de bruno toméra                                                         collage jlmi  2020

     

     

    Il y a ceux 

    qui se pétrifient dans des lits qu'on croirait des radeaux

    échoués sur des interprétations inachevées

    quand le monde tempête l'inexprimé

    Il y a ceux engloutis

    par des nuits froides

    qu'elles gèlent toutes paroles

    on ne les entend jamais

    et ils s'en foutent de toute façon

    Il y a ceux qui voudraient couper le fil des jours

    mais ils ont peur de dégringoler

    ou peur de s'envoler

    Il y a l'autre qui

    boit une bière en boite

    en matant le cul des filles comprimé dans des jeans rapiécés

    et se dit que l'amour ne sait autant se déhancher

    Il y a Eliana qui

    du haut d'une tour HLM

    suspend ses grimaces à l'intérieur d'une vitre

    et elle voudrait traverser son reflet

    Il y a un très vieux souriant

    qui regarde jouer les enfants

    en se disant qu'il va être temps

    de lâcher le guidon à ces jeunes remplaçants

    Il y a Elle ondulante sur une piste de danse

    qui s'exerce à combler le vide des sentiments

    avec un peu de prestance elle sera au top

    dans la mise en scène des apparences

    Il y a un fou à Varsovie

    qui frotte le flou des morceaux de sa vie

    dégoulinés de ses lunettes embuées

    il écrit le télégramme de son existence

    avec l'encre de la dernière pluie

    Il y a elle il y a lui

    qui se tiennent serrés dans un coin de la nuit

    quand la multitude vous est hostile

    le nous est une île

    où il est bon de se reposer

    Il y a vous, il y a moi

    Il y a ceux qui ne savent de chez eux

    que le bord d'eux même

    et ne le franchiront jamais

     


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  • l'oeil & la plume... à faire vomir les volcans

    texte de cathy garcia                                                            collage jlmi  2014

     

    Quand les galaxies frissonnent

    Agitent leurs grands bras

    Dans le creux de l’argile

    L’empreinte de nos doigts

    Quand les cloches font vibrer

    Le fond lourd des vallées

    Que les gens se jettent à terre

    Que rougissent les rivières

     

    Qui sont ces enfants nus qui courent au-devant

    Des fleurs plein la bouche et des ailes

    Des ailes de mouche ?

     

    Quand le feu brûle au-dedans

    Que les cieux se lacèrent

    S’ouvrent s’immolent

    Dans un opéra de sang

    Quand les corbeaux marchent en ligne

    Que l’aigle marche au pas

     

    Qui sont ces vieillards qui portent dans leurs serres

    Ces infinis chapelets de petits crânes blancs ?

     

    Qui sont ces crapauds

    Qui sont ces crapules

    Que jamais un baiser

    Ne pourra racheter ?

     

     extrait de Pandémonium  II

     

     


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