• l'oeil & la plume... tout ce bleu

    l'oeil & la plume... tout ce bleuB

    texte de denise desautels                                          Azul II  joan miro  1961    

     

    Gauches, la main et la marge, toujours étonnamment gauche, l’espoir, parmi les vérités du jour, quand le désir se rapproche de la toile : voir, imaginer, mordre, aimer, mourir. Or, tu les entends qui remuent, ces vérités offertes, désarmées par les effets du désir, vents larges et profonds entre ciel et œil, dans cette chambre sans mur où se croisent de lents visages. Tu les observes comme un avant, comme un après, confondus en une seule mémoire future que tu inventes, qui dépayse et allège toute fin.


    De temps en temps, la réalité se déplie devant toi, va n’importe où, dans toutes les directions, jusqu’au bout des gris et des rouges appuyés les uns contre les autres, petites nostalgies de la langue, en carrés, en rectangles, qui tournoient, portées par un souffle dont l’ocre, à l’improviste, rapproche la terre et les anges ; dissonante, la réalité, jusqu’à la périphérie de la confidence ou du vide pendant que la nuit monte très haut. Il faudra sans doute que, patiemment, tu continues à regarder «passer le ciel».


    «On a parfois des images», dis-tu, et on les plante dans un coin du jardin, on rêve d’arbres et d’heures immédiatement accessibles, sans souffrance, imperméables au souvenir, on joue et, c’est la surprise, on les entend qui poussent, nuit après nuit. Frivoles, les arbres et les heures, «quelque temps plus tard», au loin, toujours plus à gauche, mêlés à des récits de voyages où les vocables, dans l’attente d’une joie, s’emportent, récitent autrement colère et consolation, absence et désir, ruse et lumière.


    Soudain un appel, un sursaut, une réponse, et la transcription de leurs échos multiples fait tache à l’endos des cartes postales. Tu le sais, c’est chaque fois le même stratagème : les cris du monde survolent l’océan avant de t’atteindre, assise ou debout parmi des flots de pigments, tes doigts agrippés à la tasse de café, tes yeux soutenant l’insolence des mots, tes yeux plus avides qu’hier devant cette avalanche de vie. «Moi aussi de loin», t’ai-je répondu, j’essaie de freiner l’accélération du désordre.


    Comme toi, je le cherche, ce «bleu rangé quelque part», égaré entre deux ou trois événements d’hier et l’indomptable aujourd’hui, oui, je le cherche dans l’oblique du tableau où, avec le temps, il se sera forcément mêlé aux mille et une inquiétudes en attente au fond de ton œil, en attente dans l’oblique du paysage. De plus en plus indigo, de plus en plus nuit, le bleu, avant qu’il s’ouvre tout grand, et coule au-delà des coins et des bords, bien au-delà des paupières. Comme une mer de novembre.


    J’écris comme tu dis que tu peins, en répétant, en bafouillant, avec cette main gauche qui s’obstine à raconter des bribes d’histoires venues de loin, de très loin, longtemps clandestines, enfouies sous tant de rumeurs, de renoncements ; avec cette main qui marque et rature toute surface polie ; avec cette main qui vrille la terre, villes et cimetières, jusqu’à ce qu’une hirondelle en jaillisse. Car ce qu’il y a de secret et de mouvant au creux de cette paume gauche s’appelle encore l’espoir.

     

     


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