• l'oeil & la plume... Woolworth, 1954

    carver palourde verticaleB&W.jpgtexte de raymond carver                                                           ill. jlmi  2014
     
     

    Je ne sais comment ni pourquoi

    ça m’est revenu. Mais je me suis mis à y penser

    juste après que Robert ait appelé

    me disant qu’il arrivait dans quelques minutes

    pour qu’on aille aux palourdes.

     

    C’était mon premier boulot et je travaillais

    sous les ordres d’un dénommé Sal.

    Cinquante et quelques années, et

    simple magasinier comme moi.

    Parti de rien il était

    arrivé à pas grand-chose. Mais content

    d’avoir un boulot, comme moi.

    Il connaissait les rayons du magasin

    comme sa poche et il voulait bien

    m’apprendre. J’avais seize ans, je travaillais

    pour des clopinettes mais j’étais heureux

    comme ça. Sal m’a transmis

    son savoir. Il était patient

    mais faut dire aussi, je pigeais vite.

     

    Mon plus grand souvenir

    de cette période : quand on ouvrait

    les cartons de lingerie féminine.

    Les culottes et autres petits machins

    moulants. Quand on les sortait du carton

    par poignées. Déjà à l’époque,

    il s’en dégageait quelque chose

    de magnifique et de

    mystérieux. Sal appelait ça

    « Les dessou-ous », « les dessou-ous ? »

    Je le croyais sur parole. Alors pendant un temps

    moi aussi j’ai appelé ça : « Les dessou-ous. »

     

    Puis j’ai vieilli. Je n’étais plus

    magasinier. Et j’ai commencé à prononcer

    correctement ce mot français.

    Je savais de quoi je parlais !

    J’avais commencé à sortir avec des filles

    dans l’espoir de faire descendre leurs petites culottes,

    de toucher ce tendre petit morceau de soie.

    Et quelques fois ça marchait. Seigneur, oui,

    elles me laissaient faire. Et leurs culottes

    elles étaient vraiment dessou-ous.

    Tout en dessous, collées à la peau blanche,

    et elles glissaient lentement le long du ventre,

    les long des hanches et des fesses,

    et des superbes cuisses, glissaient un peu

    plus rapidement à hauteur des genoux

    puis des mollets ! Atteignaient les chevilles

    réunies pour cette occasion. Et tombaient enfin

    sur le plancher de la voiture où

    on les oubliait. Jusqu’au moment où

    il fallait les chercher à tâtons.

     

    « Les dessou-ous »

     

    Ces adorables filles !

    « Le chat s’est caché là-dessous. »

    Robert et ses gosses et moi

    là sur la plage

    avec les seaux et les pelles.

    Les gosses ne mangent pas de palourdes.

    Il n’arrêtent pas de faire des « Beurk »

    ou des « bouah » en voyant les coquillages

    dans la pelle pleine de sable,

    avant qu’on les jette dans le seau.

    Et moi qui ne cesse de penser à Yakima.

    Aux sous-vêtements soyeux,

    aux dessous qu’elles portaient en dessous

    Jeanne et Rita, Muriel, Sue et sa sœur,

    Cora Mae. Toutes ces filles.

    Des grandes personnes maintenant. Ou pire.

    Disons-le : des mortes.

     

     in  là où les eaux se mêlent     ed l'incertain  1993

     

     


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