• l'oeil & la plume...  et moi je suis

      ill. jlmi 2023

     

     

    Sculpture poétique de jlmi sur deux pages du blog

    d’Anna Jouy

    c.2010

     

     

    j'avais fait de cet arbre le sextant de ma route une sorte d'étoile qui aurait mis des branches par ici

     

    Assise sur mes petites vertus, mes miroirs aux acquêts mes réserves de noisettes. Assise et repue, obèse de mes satisfactions, face à la mer les pieds dans l’eau en état de latence parfaitement alanguie.

     

    avec le temps je deviens si nue, chaque lumière me déshabille. plus à cœur et si proche de mes cendres.

     

    j'essore mon ombre au- dessus de la rive. le fleuve est un pays qui frôle la mer,

     

    il y a des peaux de jours qui sèchent mal

     

    le papillon de caféine change la face de la Terre. une tempête noire ou un zapping? je commute.

     

    le noir est lourd de tous les arcs-en-ciel

     

    le noir en dermes profonds.

     

    je m'enfonce dans la campagne. mes grands phares soulèvent au fur et à mesure des animaux fantastiques, des êtres en fuite, des fantômes. je vais à la machette Citroën dedans le gras de la nuit

     

    je rentre avec mon sac de vieilles traces, le butin d'un jour laborieux. c'est fou le prix, le prix à payer pour quelques heures au soleil.

     

    dans le salon, les dahlias penchent, leur fin de vivre sur le verre.

     

    je la regarde dans les yeux, elle, son envie de boire, sa soif retenue dans mes rênes. elle en a les griffes dans le bois de l'établi. vais-je enfin la remplir. vais-je enfin me dire à nouveau, comme à chaque retour "ça y est , voilà, la nuit est servie.

     

    je chirouble grain à grain

    quand le vin est " fruité"

    l'ivresse ne crée que des pépins

     

    il faut monter et pouvoir un instant, ne serait-ce qu'un instant cueillir l'edelweiss du vertige.

     

    il fait un froid de sandales

    j'achève d'essorer la journée dans le tambour du soir

    je voudrais en perdre la tête,

    dépieuter le crâne de cette raideur humaine

    mais vous, comment faites-vous pour être heureux?

     

    vous prendrez bien votre requiem dans un bol de fenouil rose?

     

    je passe le cou dans la fenêtre

    non il n'y a pas d'étoiles derrière l'arc-en-ciel

    et même à genoux,

    l'univers reste muet

     

    Dans le fouillis feuillage de l’arbre, l’explosion lyrique de la vie irréductible jusqu’au jour du couperet, de la scie et de l’extirpation.  C’est la multitude, la fragile multitude de cette chevelure verte qui donne aux girafes leur long cou, aux éléphants leur trompe, aux singes leurs queues et au corbeau la force du noir.

     

    je vois un cheval blanc venu droit de la lune.

     

    Et moi je suis.

     


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  • sculpture poétique de jlmi sur la Voyeuse interdite

    de Nina Bouraoui

    ninabouraoui.jpg
    Nina Bouraoui vue par Franck Ferville 
     
     

    Et ils violent.

    Le reste n’existe plus

    Gouffre de l’a priori et de l’inné

    Esclaves du sexe ne cherchez pas

    Vous ne trouverez jamais un regard complice

    Arrachons rideaux et voiles

    Un carnaval de mains brisera le silence

    Se faire une histoire avant de regarder le vrai

    Je suis l’œil indiscret caché derrière vos trous de serrure

    Je nomme mes disgrâces : maux de la Beauté

    Une part dérisoire de fausse liberté

    Accroupie derrière une table basse

    Zohr ma sœur aînée

    Attend la fonte de la menthe

    Appauvris par des rubans trop serrés

    Ses cheveux tombent aujourd’hui

    En mèches inégales

    Sur son corps aux veines apparentes

    Zohr ignorait que la mort était déjà en elle

    Zohr la transportait dans toute la maison

    Et s’endormait dans ses bras

    Poussée par l’instinct de survie

    Je chasse la décadence par la décadence

    Par la douleur de l’interdit

    Je réveille mon corps

    Le sauve in extremis de la chute

    Je m’enfante moi-même

    Seuls les yeux sont intacts

    Dialogues maladroits entre l’absurde et l’absurde

    D’un présent lointain

    Ignorer le temps

    Il ne passe pas, il trépasse

    Taquiner les rats et nourrir les fous

    La ville se rapproche du désert

    Epicentre du néant

    No man’s land de nulle part

    Le désert s’écoute seul

    Le soleil haussait les épaules

    L’arbre continuait à vivre

    Son odeur disparut au fil des jours

    Un mélange d’ambre, de musc et de réglisse.

    Petite symphonie macabre

    Pour fête clandestine des sens désaxés

    Requiem pour le vide

     

     


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  • texte jlmi                                                                   portrait de joyce mansour

     

     

    sculpture poétique de jlmi sur des textes

    de Joyce Mansour

     

    Au-delà des limites de la lumière

    De la froide incandescence lunaire

    Des ombres gantées de fumées

    Passent sous la pendule qui baille.  

    Je pense à toi comme je respire.

     

    A l’étal du couchant

    Aux arômes d’inexprimable

    Le pas pesant du silence

    Sur le crâne chauve de l’ennui

    D’un archipel d’insomnie

     

    Dans l’impalpable de la nuit

    L’œil malade d’images

    Attendant l’arrivée de l’incertain

    Cloître des rêves

    Dans les étages du passé

     

    Collée aux cloisons de l’attente

    La porte de la nuit est fermée à clef

    Horloge parlante de la vieillesse

    Ma bouche se veut tombe mais ne sait pas mentir.

    Je t’abandonnerai mon corps et tu le dévoreras

     

    Comme un spasme dans l’émonctoire d’une femme

    Un remous s’est produit dans la végétation

    Et l’homme s’est noyé dans la liqueur

    Aux fleurs brunies de mon ventre

    Tyrannique folie des timides

     


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    le ciseau & la plume... les ténèbres définitives

    sculpture poétique de jlmi sur la courte nouvelle "Trois jours" de Thomas Bernhard                 ill.jlmi

     

    … les premières impressions, le chemin déjà […]

    Se faire comprendre est impossible, ça n’existe pas.

    Et cela devient naturellement toujours pire et toujours plus fort,

    et il n’y a aucun salut ni aucun retour en arrière.

    Dans l’obscurité tout devient clair.

            Ce que je préfère c’est être seul

            C’est en fait un état idéal

    Ma maison est aussi en réalité, une gigantesque prison.

    Au fond je ne voudrais rien d’autre que d’être laissé en paix.

    […] De savoir que tout s’écroule autour de moi

    ou que tout devient ou non plus ridicule que ça n’est…

    ça n’a pour moi absolument aucun sens,

    et ça ne me conduit pas plus loin non plus,

    ça ne me conduit surtout pas à moi-même…

    […] Dans le contact des êtres humains

    il est aussi très bon d’interrompre brutalement la relation.

    […] et prendre continuellement la mélancolie en comprimé…

    […] Tentative de mettre le doigt sur des objets

    qui se dissolvent au moment même où

    l’on croit les avoir touchés.

    … et si possible, en fermant les yeux,

    accélérer la venue des ténèbres

    et ne rouvrir les yeux

    que lorsqu’on a la certitude d’être

    absolument dans les ténèbres,

    les ténèbres définitives.

     

     


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  • le ciseau & la plume... les vagues (collage)

    texte Virginia Woolf                          photo Ploumanac'h en décembre   jlmi 2007 

     

    À mesure qu’elles approchaient du rivage chaque barre se soulevait, s’enflait, se brisait et balayait un fin voile d’eau blanche sur le sable. La vague s’arrêtait, et puis se retirait à nouveau, soupirant comme un dormeur dont le souffle va et vient inconsciemment.

    Le soleil s’éleva plus haut. Des vagues bleues, des vagues vertes balayèrent la plage de leur vif éventail, contournant la hampe du chardon des dunes et laissant des flaques de lumière ça et là sur le sable. Elles y laissaient un léger cerne noir après leur passage. Les rochers qui avaient été brumeux et doux se durcirent et se balafrèrent de crevasses rouges.

    Tout devenait doucement amorphe, comme si la porcelaine de l’assiette coulait et que l’acier du couteau était liquide. Pendant ce temps la commotion que produisaient les vagues en se brisant tombait avec des bruits sourds, comme tombent des rondins, sur le rivage.

    Le vent se leva. Les vagues battaient le tambour sur le rivage, comme des guerriers en turbans, comme des hommes en turbans aux sagaies empoisonnées qui, faisant tournoyer en l’air leurs armes, marchent sur les troupeaux à la pâture, les blancs moutons.

    Les vagues se brisaient et répandaient vivement leurs flots sur le rivage. L’une après l’autre, elles s’enflaient et puis retombaient ; leurs embruns revenaient sur eux-mêmes dans la violence de leur chute. Les vagues étaient baignées d’un bleu profond mais un motif de lumière piquetée de diamants ondulait sur leurs dos comme ondulent les muscles sur le dos des grands chevaux quand ils se déplacent. Les vagues tombaient ; refluaient et tombaient à nouveau, comme le piaffement sourd d’une énorme bête.

    Les vagues se ramassaient, courbaient leur échine et s’écrasaient. Faisaient gicler des jets de pierres et de galets. Elles se répandaient autour des rochers et les embruns, bondissant très haut, éclaboussaient les parois d’une grotte jusque-là encore sèche, et laissaient sur le rivage des trous d’eau, où fouettait la queue d’un poisson échoué là alors que refluait la vague.

    Comme s’il y avait des vagues d’obscurité dans l’air, l’obscurité avançait toujours, recouvrant maisons, arbres, collines, comme les vagues de la mer baignent les flancs d’un navire englouti. L’obscurité baignait les rues, tourbillonnant autour de silhouettes isolées, les submergeant ; effaçant les couples enlacés sous l’averse obscure des ormes en feuillage de plein été. L’obscurité roulait ses vagues le long des chemins herbeux et sur la peau ridée du gazon, enveloppant le buisson d’épine solitaire et les coquilles vides d’escargots à son pied.

    Et en moi aussi la vague monte. Elle s’enfle ; elle fait le gros dos. Je sens renaître en moi une fois encore un désir neuf, quelque chose qui monte au-dessous de moi comme le fier cheval que le cavalier éperonne et retient tour à tour.

    Les vagues se brisaient sur le rivage.

     

    Extraits de Les Vagues de Virginia Woolf : collage

    (Traduction de la Bibliothèque de la Pléiade)

     

    Choix de Dominique Zinenberg  /  Francopolis

     


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