• l'oeil & la plume... eh Paol ! tu m'entends ?

    l'oeil & la plume... eh Paol ! tu m'entends ?

    texte anne julien                                                                            photo jlmi

     

     

     

    Eh Paol ! Tu m'entends ? Je parle par dessus l'océan

    dans la langue muette. Paol, je parle sans, je viens de Brest

    je parle la langue des français mais la tienne, je parle avec.

     

    Je viens du quadrillage et de la ruine de guerre avant moi

    je viens d'avant

    et sans les mots de la terre et du vent de nos monts noirs

    je parle à même la terre et le vent Je parle bouche sèche et fougères

    même si je viens de Brest je parle par les ribins, Paol tu m'entends ?

     

    J'aurais voulu ma langue pareille à mon pays, l'écorche sur les cailloux

    le dur et la courbe le noir des corneilles noires du ciel-novembre

    la nuit qui vient couvrir les lumières en feu sur la mer

    et le chien qui court fou sur toutes les plages de Bretagne

     

    J'aurais voulu ma langue pareille aux mousses sur la dune,

    au caché dans le granit et qui s'entend doux

    quand Youenn Gwernig chante, dans sa chemise

     

    Mais j'ai la parole française taillée pour le cristal parole paternelle Paol

    avec l'accent d'ici quand même qui pend à mon cou

    la cloche des vaches quand elles rentrent à l'étable

    les voitures du dimanche soir obligées de laisser passer les vaches

    les vaches qui laissent leur bouse sur le chemin je suis l'enfant de ça

    qui sent le pays sous la langue et sans

     

    je suis l'enfant sans langue qui dit vent et vit an avel pour l'envolée

    et qui ne trouve pas les mots pour dire la pluie et son gris

    cette larme de morve et de crachins dans laquelle on s'aigrit

    qui respire en nous qui sème des gens courbés dans les rues

    pour traverser entres les gouttes mais on en sort mouillés pour sûr

    puisque la pluie d'ici c'est du rideau

    Tu vois Paol il me reste les brujun, les miettes pour les filles des villes

     

    J'ai bien compris, tu sais, que la langue dans laquelle je suis née

    ce n'était pas celle-là pour laquelle j'étais taillée

    alors j'ai fait poète un peu pour me tirer par les oreilles

    mais Paol tu m'entends ? La langue dans laquelle je marche

    les bottes dans la terre et la main sur les talus,

     

    jamais apprise et jamais oubliée

     

    6 novembre 2012 

    à Paol Keineg 

     


  • Commentaires

    1
    Cathy
    Jeudi 15 Octobre 2020 à 09:49

    superbe, j'aime beaucoup la poésie d'Anne Julien, publiée dans la revue il y a longtemps déjà :-)

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