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l'oeil & la plume... la terre fait taire tous les silences
texte & ill. jlmi
Au seul Bouddhiste Taraviste Libertaire
que je connaisse en ce monde
pour le moins déglingué
Alléluia !
Titubant dans l'escalier liquide
des rails luisants du tram T3,
un bel ivrogne nommé Désir
voyage aux portes de la nuit.
Oiseau nocturne à bec de bois
il brûle de la grande soif amère
et mord la pluie,
une pluie lasse de pleuvoir.
Sa solitude hirsute transpire
en mille éclats de visages fatigués
dans le miroir de l’incognito.
Toujours son tour de s’affaler sur le pavé
au grès gris graisseux de ce caniveau,
dur enfer bitumeux de la biture,
qui suinte les sanies mécaniques
des bagnoles qui filent sur l’enfer d’asphalte des Maréchaux
aux heures pâles de brouillard.
Le bois de Vincennes est à deux pas…
Toujours son tour de joncher le sol de ses songes épilepthyliques
d’anarcho-alchimiste des mots-fêlures reclus au cœur de l’âme.
Ces mots des simples de la quotidienne servitude
qui font bailler des corneilles aux intellos
dont les yeux ne savent plus que scruter leurs ombilics précieux
et donnent bonne conscience aux politicos de tous poils,
ces baveux dont les yeux ne savent plus que berner d’échéances en déchéances.
Ces tous paumés dans le labyrinthe de leurs mots vide de vie, ces mots menteurs
porteurs de maladies étranges.
Un peu plus loin, sur le boulevard Soult
sous le cône verdâtre d’un réverbère
une ombre rousse de la nuit
bien calée contre sa camionnette aménagée
serre les pans de son manteau miteux
sur les pauvres reliefs de sa nudité crue.
Elle a vu Désir tomber fin bourré. Raide.
Elle hésite. La peur des coups.
Elle en a son compte faut dire…
Lui elle le connaît, enfin elle pense,
- sa barbe poivre et sel,
ses lunettes à monture d’écaille rafistolées avec du sparadrap -
pas de doute !
mais qu’est-ce qu’il peut bien foutre ici ?
Il lui semble qu’elle l’a déjà vu dans un bistrot du Marais, son quartier,
Là où elle rejoint parfois ses copines qui tapinent dans les petits coins d’ombre
entre Bastille et Sébasto.
Mais oui, c’est ça, à « la Goule en pente », il a même sa table attitrée.
Faut dire que Marinette la patronne elle l’a à la bonne le Désir.
Paraît qu’il reste là des heures à mendier sa chopine en récitant des histoires.
Des poèmes qu’il dit, lui, pas des histoires.
Des trucs qu’il a gribouillé avec un vieux bic tout mâchuré
sur des bouts de papier sales
- cueillis au hasard rue de la Verrerie, autour du bhv,
( ben oui, il habite au Grand Hôtel de la rue des Mauvais Garçons,
ça s’invente pas ça. Enfin la cambuse elle est un brin décrépite faut dire…
elle a que le nom de ronflant )
j’en étais où ? je digresse comme il dirait…
ah oui, ses papiers sales –
ils les ramassent
quand les poubelles du magasin débordent avant le passage des boueux –
Pour les lire ses papelards, il les tire délicatement de ses poches de veste ou de futal
et ne commence qu’après les avoir repassés, caressés plutôt, avec soin
du plat de la main
sur la table toute parée des auréoles des verres déjà passés.
Belles ses histoires au Désir…faut dire
Elles disent leurs pauvres vies profanées d’exclus,
d’interdits du circuit touristique des alouettes
ensuquées des mensonges
du libéralisme.
Toutes ces tricheries farouches de la multitude.
Même quand il en a déjà un coup dans le nez,
il les dit bien ses poèmes. Ça oui !
A donner la chair de poule,
tous les poils des bras en train de bander ferme.
Ça met du baume au cœur.
Son cœur au Désir,
il doit être énorme,
avec tout ce qu’il essaie de donner
avec ce peu qui lui reste :
ses mots…
La Rousse se décide d’un coup,
sa nuit est foutue de toute façon,
une vraie nuit de chien,
alors elle va vers le corps recroquevillé
se penche,
le secoue,
lui parle presque à l’oreille,
ramasse ses lunettes mal en point
lui tire un bras pour le forcer à se lever…
il éructe des phrases incompréhensibles
puis il bouge,
gesticule,
se redresse,
il la voit, son œil s’éclaire,
il lui sourit
- un sourire ébréché sous un coquard
déjà viré aubergine et cerne jaune -
un sourire qui vaut mille mercis.
Il y a beaucoup de quelques parts
alors les voilà partis titubants tous les deux
vers la camionnette,
mais déjà bien au-delà,
vers un espoir d’ailleurs que la rue,
mémoires jetées aux chiens.
Un ailleurs sans crachin jusqu’aux laudes profanes
où viveurs de vies
ils trouveront à partager
ce qui leur reste,
le temps intérieur
ce temps qui ignore ses limites.
Il en fera peut-être un poème.
Va savoir !
La terre fait taire tous les silences
extrait des Preuves incertaines ed Nouveaux Délits 2020
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Commentaires
hommage à André Laude, ou ça pourrait en tout cas ! vendredi soir, on est tombé sur un type écroulé au sol, celui de ton poème mais sans poèmes, triste, triste, triste… on a fait appeler les pompiers :-(