• remuer le silencecontrast.jpg
    texte de bruno toméra                                collage  jlmi  2014

     

     

    Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant

    et me perdre dans la tendresse de ton repos

    quand les vagues de bombes s'apprêtent

    à calmer définitivement nos rages de dents

    quand les prisonniers fabriquent des cordes

    pour se pendre sous le dernier rire d'un lever de soleil

    quand les enfants sont prêts à être programmés

    dans les fichiers d'une invraisemblable justice scientifique

    quand des humains parmi d'autres humains sont emmurés

    dans le coma éthylique de la solitude absolue

    quand les êtres humains sont incapables d'êtres bons

     

    Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant

    et me perdre dans la tendresse de ton repos ma Belle.

    Duo déséquilibré dansant sous des éclats de lune.

    Nous connaissons les hôpitaux psy et les regards désenchantés

    quémandant une autre intuition du monde

    nous connaissons les cages des flics et l'incompréhension

    les bagarres sordides et les gueules de bois burinées sous les coups

    de la haine et l'invention de l'amour dans les théories cupides

    de bras étouffants

    nous connaissons l'offense du mépris

    nous connaissons le rejet des animaux abandonnés

    et les bouts de nous mêmes écrasés sur la route des fous.

     

    Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant

    et me perdre encore dans la tendresse de ton repos

    pour que le calme s'agenouille enfin près de nos âmes

    qui ne demandent rien à la vie et encore moins à la mort.

    Me perdre dans la tendresse  de ton repos

    ma main posée sur ton ventre

    ma figure enveloppée de ta chevelure rouge

    ma chair sensible contre ta chair sensible

    mon sourire échos de ton sourire.

    Me perdre encore dans la tendresse de ton repos

    Et puis repartir

    Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant.

     


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  • l'oeil & la plume... linguis

    texte murièle modély                                                           photo rodrigo nunez

     

     

    nous ne sommes pas très à l'aise avec les langues étrangères
    nous manquons de pratique et de vocabulaire
    nos bouches ne sont visiblement pas faites pour certaines voyelles
    tu parles l'anatomique, je ne jure que par l'organique
    et bien que nous ayons conscience de notre idiome commun
    lorsque nous nous allongeons sur la page
    étrangement l'un de nous balbutie
    je pose ma main noire sur ta peau blanche
    le sens de ton corps fuit dans un vide pendant que le mien calcifie
    quelque chose heurte l'oreille, le réjouit
    une musique dissonante monte des mouvements saccadés dans le lit

     

     


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  • mau1.jpg
    texte de jean-claude tardif                                                                   ill. jlmi


    De son sixième étage il contemplait la foule qui déambulait dans la rue ; il souriait en pensant à celle qui d'un moment à l'autre se mêlerait sans doute à ce grouillement de tâches de couleur, vêtements légers qui seyaient à la saison . Il scrutait ces grappes de badauds qui s'agglutinaient au plus proche de la porte du hall. Pressés contre les barrières tous attendaient de voir passer ceux qui maintenant ne tarderaient plus . L'impatience montait, elle devenait palpable, mouvante, semblable à un corps qui se plie, se prête au désir ; au désir du désir ! Il se félicita d'avoir acheté ce petit appartement malgré les travaux . La vue sur le boulevard lui plaisait vraiment . C'était là son premier achat, alors qu'il avait atteint depuis longtemps déjà, l'âge où d'ordinaire on engrange les dividendes, voire les plus-values . Il avait toujours résisté à cette volonté, ce besoin partagé par beaucoup, par cette foule qu'il surplombait sans doute, de posséder. Et puis, cette annonce, une opportunité : petit appartement sur le boulevard, à saisir . Suivait une adresse dans un quartier qui lui plaisait depuis l'enfance. Il ne savait pas ce qui avait emporté sa décision, la clarté des lieux, leur sobriété ou, le fait simple, mais au combien précis, de sa présence quand il se présenta pour visiter ?.


    Il s'accouda un peu plus sur la barre de sûreté, se pencha pour essayer de l'apercevoir, elle venait de partir ! Il ne la vit pas parmi tous ces autres, il leur en voulut à la lui dissimuler. Puis pensa que peut-être elle longeait les murs, la pierre blonde sous le soleil ; qu'elle se frayait un passage entre elles et les corps de plus en plus nombreux, serrés, au fur et à mesure qu'approchait le moment tant attendu par chacun de ceux qui se trouvait là . Il aurait tant aimé l'apercevoir une seconde, alors que l'odeur de son corps flottait encore dans cette pièce qui était devenue la chambre ; C'était là qu'approchaient qu'il l'avait aperçue pour la première fois. Il frissonna . L'air était sec ! Il eut envi d'elle, de la sentir tout contre de lui . Il se tourna un bref moment vers l'intérieur de la pièce, elle était-là ! Son image, sa présence demeuraient dans le froissé des draps . Il sourit ! Jamais il n'aurait osé imaginer à quelques semaines de là , quand il entra dans cette pièce vide, ce vers quoi la vie l'emporterait. Ce jour-là elle se tenait debout, au centre de la pièce, dans la lumière . Elle lui avait souri et pourtant il ne vit que la tristesse de ses yeux gris . Elle le regarda approcher sans esquisser le moindre geste . À croire avait -il pensé que le soleil qui entrait dans la pièce la piégeait, ou qu'elle avait dans son ascendance quelque Mau égyptien ; le corps souple qu'il devinait sous sa robe ainsi que la démarche fluide qu'il lui prêta avant même qu'elle ne fit le moindre pas plaideraient, il en était certain, pour une telle parenté.


    Il avait hésité avant de s'avancer, il lui semblait que ses yeux se rétrécissaient à mesure qu'il progressait vers elle . À tout moment, il était prêt à se rejeter en arrière pour éviter l'attaque, le coup de patte. Le pas de côté pouvait aussi s'imposer. Il se reprocha son corps lourd, vieilli ; il ne pourrait en rien rivaliser avec celui de cette femme dans la fuite . Il sut au premier regard qu'elle pourrait le blesser si l'envie lui en venait sans qu'il puisse s'y opposer. Il regarda ses mains, elles étaient d'une troublante jeunesse . Ses ongles manucurés étaient vernis rouge sang . Il fut presque surpris de ne pas y voir l'effilé de griffes . Il s'attarda plus que de raison sur la couleur de ses ongles, puis ses yeux remontèrent très doucement jusqu'à la naissance des poignets qu'elle avait fins . Il se trouva ridicule de penser à cela, cette phrase, ce :  ses poignets qu'elle avait fins  . Il l'avait lue, entendue tant et tant de fois quand il s'agissait de qualifier la beauté fragile, touchant à la candeur, d'une jolie femme ; il aurait voulu trouver d'autres mots. Que son émotion face à elle ne soit pas trahie, amoindrie par les mots même qui lui venaient pour la qualifier, d'autant que les yeux de cette femme lui disaient tout autre chose à présent ; ils lui parlaient d'une sauvagerie qui … Il se trouva minable ! Tout le désertait alors qu'il avait plus que jamais besoin de son aplomb ; celui qu'on lui reconnaissait avant, dans sa vie professionnelle, et qu'il avait fini par considérer comme un acquis, quelque chose qui lui était innée . Mais aujourd'hui il devait bien se rendre à l'évidence devant cette femme, durant toutes ces années beaucoup lui avaient menti sur lui-même.

    Dès qu'il l'avait vue, il avait su qu'il achèterait cet appartement, simplement parce qu'elle s'y était tenue, debout, dans la lumière . Il ne savait rien d'elle sauf qu'elle était là et que cela lui suffisait . Il avait cependant fait durer la visite, l'avait suivie, respirée, la faisant repasser plusieurs fois dans le couloir de soleil qui tombait de la fenêtre . Chaque fois celle-ci, en ombre chinoise, lui donnait à découvrir un peu plus son corps . Il en était tout à la fois transporté et honteux car il n'était pas dans ses habitudes de se conduire de la sorte . Elle fit semblant de ne s'apercevoir de rien et se prêta au jeu qui recommença les jours suivants ; chaque fois plus long, plus intime, et chaque jour lorsqu'il arrivait dans l'appartement il craignait qu'elle ne s'y trouvât point . Chaque fois cependant son bonheur grandissait lorsqu'il la retrouvait dans l'une des pièces, comme par hasard . Combien de semaines s'étaient écoulées depuis leur rencontre, depuis que, pour la première fois il avait croisé les yeux gris de Mau ? - comme il la surnommait maintenant - Il n'en avait pas tenu le compte et ne le voulait pas ; il lui aurait simplement appris qu'il avait vieilli encore un peu plus, et qu'elle était toujours aussi belle.


    Dehors il y eut de grands cris, des encouragements. La caravane publicitaire passait sous la fenêtre, jetant à la volée des objets sans valeur à une foule qui n'était plus qu'une masse informe, déplacée par à-coups, mue par une seule et même volonté . Les mains ensemble se tendaient pour saisir qui un fanion, qui une casquette ; des dizaines de mains tendues vers un seul et même but, dérisoire, ridicule. Il pensa à ses propres mains sur son corps ; ses mains seules, sur le corps félin de Mau. Le bonheur le submergea « Mau je t'aime » murmura-t-il . Il revint au spectacle de la rue . La foule était indescriptible, la rumeur couvrait le bruit des moteurs, des motos . Le peloton n'allait plus tarder, il se pencha un peu plus, s'appuya de tout son poids sur le garde-corps pour tenter une fois encore de l'apercevoir dans le soleil . Ses doigts serraient la barre avec force, comme il aurait aimé enserrer le corps de Mau. Il se pencha encore, en limite d'équilibre et l'aperçut soudain, point vif, chevelure brune, galopante sur le dessin des épaules, sur cette peau qu'il aimait tant ; dont il ne pouvait plus se passer . Elle s'apprêtait à tourner le coin de la rue, la station de taxis se trouvait juste après, bientôt elle montrait et disparaîtrait dans l'un d'entre eux . Il voulait l'appeler, crier son prénom pour qu'elle se retourne ; que son visage s'inscrive en contre-sens de la foule avant que son regard ne la perde tout à fait. Il l'appela, d'une voix presque suppliante : « Mau », une seule fois, et ces trois lettres contenaient le peu qu'il savait d'elle ; tout ce qu'il en ignorait . Il s'appuya davantage encore sur la balustrade, comme si son corps voulait ainsi donner plus de puissance à sa voix. C'est alors que ça se produisit, elle céda sous son poids. Avant de s'écraser sur la foule, six étages au-dessous, il pensa à ces instants partagés avec cette femme dont jamais il ne saurait le prénom . Il la revit nue, légère et impudique dans le petit appartement où - il en était maintenant persuadé - toute sa vie s'était résumée en l'espace de quelques jours et quelques nuits . Chute ou ascension ? Qu'importe ! Il sut qu'à présent … Il était convaincu d'avoir eu raison.

     

     


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  • l'oeil & la plume... dites-moi où, en quel pays...

    texte jlmi                                                                                                        sur photo anonyme

     

    ... Sage paysage en noir et blanc.

    Impression diffuse d’être face à un négatif. Oui, sans doute.

     

    Au fond - au ciel ? - un arc de gris dégradés. Si nous étions sous les tropiques, ce pourrait être la naissance de l’astre d’un jour nouveau lorsqu’il se pare de ce rouge si profond.

     

    En premier plan, un ensemble symétrique de collines s’étale jusqu’à un horizon incertain. Incertain, car est-ce un horizon marin ou bien celui que l’on perçoit du haut d’un plateau, au fin bout des vallées des massifs érodés. L’élément marin semble l’emporter. Nul ne saurait y être surpris par l’odeur des goémons

     

    Ces collines sont désertiques, nulle végétation ne semble y vivre. On les croirait polies par les vents de tous les azimuts et les pluies de tous les ciels. Ceci renforce la probabilité d’un océan voisin. Seule la lumière joue ce jour sur les rondeurs et les souligne avec une infinie délicatesse.

     

    Ce qui surprend au premier regard dans ce paysage sage à l’extrême, c’est l’arrangement, l’harmonie autour d’un centre au galbe parfait, ensuite, c’est la végétation luxuriante posée là. L’idée de buisson vient de suite à l’esprit. Mais à la réflexion il faut bien convenir que c’est impossible, le paysage est bien trop large, ample. Ce buisson est au moins un bosquet et sa forme est le résultat de l’action continue des vents…

     

    L’esprit poursuit son lent travail. Un bosquet dans cette nature ? Pourquoi ? Quel secret peut-il bien dissimuler ? Et vient l’envie, violente, de gravir le Mont pour en explorer l’autre versant…

     


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  • l'oeil & la plume...

    texte de fanny sheper                                                                   photo jlmi

     

    Qu’est ce qu’on n’a pas fait comme cochonneries tous les deux

    On pouvait pas s’empêcher

    Dans les hautes herbes, perdus dans les branches

    Contre un mur, accrochés aux antennes

    Au pied d’une poubelle, la tête dans  les bijoux

    Sur un banc gribouillé, tout en haut des néons

     

    On s’est répandus un peu partout

    On se promenait dans les villes

    Les mains sales de délices et  les yeux juteux

    On s’enveloppait tout le temps comme des nuages

     

    Ton jean en tire bouchon et ma culotte au plafond

    C’était rigolo

    Dans un lit qui grimpe aux rideaux décoiffés

    Contre un pylône les orteils dans les fils électrifiés

    Dans un vieux sofa rouge et profond comme la mort des amants

    Sur un plancher penché les cheveux mouillés

    Dans le sable les doigts salés

     

    On l’a fait mille fois partout

    Comme des obsédés qui vont trépasser

    On s’est écarquillés, on s’est entremêlés

    Comme les derniers dingues d’une dynastie effondrée

     

    On  l’a  fait

    Cachés dans un zoo près des papillons

    Dans les toilettes d’un bus bondé

    A califourchon dans une forêt poilue

    Sur un vieux lavabo qui boitait

    Sur une peau de vache dans l’étincelle d’un crépitement

    Contre un  matelas à poils dans les étoiles

    Dans un parking glauque à en péter les vitres

    Dans les pâquerettes et les plastiques des bords de routes

     

    On l'a fait partout, tout le temps

    Comme des damnés qui vont crever

    Comme des gamins déglingués qui se font briller

    On l’a fait partout et après on est rentrés chez nous

    On s’est évaporés comme ça dans une buée

     

     


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