• l'oeil & la plume... l'enfant est mort

    texte de Andrée Chédid                                   "Guerre & Paix" de Pablo Picasso

     

     

     

    L'enfant est mort

    Le village s'est vidé de tous ses combattants

    Rivé à sa mitraillette dont les rafales de feu viennent d'achever l'enfant

    L'ennemi tremble d'effroi à l'abri d'un vieux mur

    Tout est propre autour : le ciel la mer l'été rieur les pins

    L'ennemi a lancé loin par-delà les collines ses vêtements et son arme son histoire et ses lois

    Pour se coucher en pleurs à deux pas d'une fontaine sous l'ombre d'un oranger

    Près du corps de l'enfant.

     

     

     

     


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  • l'oeil & la plume...  léclats de souvenirs

    texte de Chantal Couliou                                                              ill.  jlmi  2010

     


    Le jour se tient en équilibre
    au-dessus de ses souvenirs
    - mal arrimés -
    D’un mot à l’autre,
    le vide s’est installé
    dans sa vie
    tissant un voile d’engourdissement où l’absence
    est devenue la plus forte.

    * * *

    Assise sur le lit
    des photos éparpillées
    autour d’elle.
    Elle essaie de reconstruire sa vie,
    maille après maille,
    les mots lui glissent entre les doigts.
    Sans cesse,
    elle doit rapiécer
    ces bouts de souvenirs
    pour tirer les fils de son enfance.
    La fenêtre ouverte
    lui offre de grandes rasades de vent
    qui remuent,
    peine perdue,
    les traces
    d’un passé/avenir oublié.

    * * *

    Toujours assise au même endroit
    les mains
    croisées sur ses genoux,
    elle voyage
    sur l’un de ces cargos
    béats d’exotisme.
    Sur ses épaules
    le murmure des années
    et dans ses yeux
    le regard d’un ancêtre chinois.

    * * *

    Dans les replis de la mémoire,
    un front de mer,
    une sonate de Mozart,
    l’écho d’une voix,
    un sourire
    qui nous aident à lutter contre
    les jours qui s’enchaînent
    pour ne pas oublier
    les baisers framboise,
    les nuits de pleine lune,
    l’insolence du soleil
    et la caresse du vent
    sur nos joues vieillies.

    * * *

    Les jours bien pliés
    au creux des armoires
    se font discrets
    à l’approche de l’automne.
    Les mots,
    ivres de pluie
    s’écrivent à tâtons
    sur le chemin de la mémoire
    - éclats de souvenirs -

     

    Le temps en miettes - éditions Soc et Foc

     

     


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  • texte cathy garcia                                                                     ill. jlmi 2014

     

    Des larmes se déchirent sur l'archet d'un violon discordant mais voici que du brouillard, montent des accords de fête. Vieux trombone et percussions tanguent sur les pas d'un accordéon. Cortège fragile, si vite dissipé par les accords graves et lourds du piano. Des lumières flottent dans le néant, c'est la noria des atomes. Des créatures de boue et de nuit se redressent, dégoulinantes. Lentement les unes après les autres, elles se lèvent et commencent à marcher. 

    L’aube originelle se fraye un chemin au travers les ténèbres contractées, elle en émerge enfin, écorchée, écarlate. La pluie se mêle à la lumière. Noces sanguines pour baigner la nouvelle-née. Une flûte insolente marque le début d'une danse. La nuit grouillante de cauchemars est refoulée à l’angle de l’oubli. Les fleurs ont remplacé la boue, c'est la naissance de l'amour ! Une guitare romantique glisse des lueurs de bonheur dans les regards tout juste éclos. Les doigts se frôlent en tremblant, tout à la joie de l'éveil. Les hanches se balancent au rythme d'une houle langoureuse qui monte à la gorge pour jaillir, champagne, en rires empourprés. Instant magique, unions des cœurs sous les eaux caressantes d'une seule et même chanson, celle du temps qui nous reste à vivre, berçant nos tendres illusions et portant sur nos lèvres l’étrange sourire de ces enfants, qui disparaissent avant même d'avoir vécu. Le vertige des années qui glissent sur une partition ponctuée de silences. Le vieux musicien sait que sa musique tient à un fil. Au fil ténu d'une respiration, le premier chant du monde, mais les vieux musiciens au fond des bars sont fatigués. Leur regard fiévreux brille. Au fond des verres gisent des larmes d'alcool. Tout se trouble. Il est tard et la musique s'estompe. 

     

     

     


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    l'oeil & la plume... bouche pleine

    texte de murièle modély                                          ill. jlmi 2019

     

     

     

     

     tu es assise à table, à faire tourner entre ton pouce et ton index
    une coupe remplie d'alcool, disons... du champagne
    à laper, tu te reprends, à siroter quelques gorgées, entre deux rires et un regard

    /

    soudain tu te mets à tousser en postillons serrés, le rêve démesuré
    tu bois une bière dans un bock, assise à la table écaillée
    pendant que lui regarde dans l'autre pièce, un truc ou l'autre à la télé

    /

    tu tousses, mais ce n'est pas la bière ou la peur qu'il te voit
    à cette heure déjà en train de picoler, qui te fait crachoter
    la télé est à fond, il ne t'entend jamais

    /

    tu bois vite, tu manges vite, tu vis vite, faut faire passer tout ça
    lui ou un autre, tu avales, tousses, t'étouffes
    ton rêve comme une arête coincée en travers de la gorge

    /

    faut faire passer tout ça...
    t'avais dit ça aussi quand elle avait pris l'aiguille à tricoter
    t'avais dit ça tout pareil sans majuscule ni point d'exclamation
    l'aiguille à tricoter en métal blanc

    /

    l'envie de tricoter t'est d'ailleurs passé d'un coup
    quand ton regard se pose maintenant
    sur la pelote dans le panier
    c'est bizarre, tu penses à un crâne réduit en miettes
    les fils de laine en boule, comme du tissu cérébral, emmêlés

    /

    de toute façon, le tricot c'était pour faire plaisir à ta mère
    le genre de truc, penses-tu, qui plaît aux hommes, avec les turlutes
    le rouge te monte aux joues, parce que ce mot tu ne le dis jamais, ta mère si

    /

    ton assiette est rouge, tu pensais que peut-être
    la couleur passerait avec la mousse
    tu as beau picoler, toujours le rouge  devant toi
    les spaghettis figent dans la sauce grasse
    il est neuf heures, tu n'as pas faim

    /

    l'assiette te donne des hauts le cœur, il ne dit rien
    - il ne dit jamais rien
    il n'a rien dit la veille, quand tu t'es soudain arrêtée de manger
    quelque chose coincé dans l’œsophage
    il a juste frappé la table très fort
    du plat de la main

    /

    alors tu avais mis l'assiette au frigo, sans rien dire toi non plus
    parce que c'est toujours pareil, tu ne peux t'empêcher de faire tout de travers
    non contente de vivre aux crochets de la société, de ta mère, des hommes
    tu ne peux t'empêcher de te faire remarquer

    /

    le ventre
    la bouche pleine
    l'aiguille à tricoter
    tout ce que tu avales
    tu le recraches

    /

    ce matin, tu as ressorti l'assiette
    car tu ne peux pas passer ta vie à gaspiller
    tout ce qu'on s'échine à te donner

    /

    ce matin, tu regardes l'assiette
    au milieu de tes rêves qui hoquètent
    tu avales des bières, l'estomac au bord
    tout au bord des lèvres
    en chipotant encore
    les restes du repas d'hier


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    Alors que la première "photo" d'un trou noir a été publiée il n'y a que peu de temps,

    ce texte centenaire...

     

    l'oeil & la plume... descente dans l'Infini

    texte de jean jaurès                                                                ill. jlmi2019

     

     

    Dans cette architecture étrange qu'on appelle la matière, nous avons beau descendre vers les fondements, nous ne trouvons point une assiette fixe : les pierres que l'on croyait fondamentales entrent en mouvement ; elles entrent en danse, et c'est sur des tourbillons subtils que repose jusqu'ici l'édifice solide du monde. Mais, descendons plus bas encore, et au-dessous même de l'atome ; l'atome, dit-on, est un tourbillon d'éther ; c'est donc l'éther qui va être la matière première, le substratum définitif de tous les mouvements ; soit, mais l'éther lui-même, dans son apparence d'immuable sérénité, est traversé de mouvements innombrables ; tous les rayonnements de lumière et de chaleur, tous les courants et tous les jets d'électricité et de magnétisme, tous les mouvements qui correspondent dans les corps aux phénomènes de la pesanteur et, dans les composés chimiques, aux phénomènes de l'affinité émeuvent   incessamment l'éther ; et appuyer le monde sur l'éther, c'est l'appuyer sur une mer de mouvements immenses et aux vagues toujours remuées. Il faut bien pourtant que les mouvements de l'univers soient les mouvements de quelque chose ; il faut bien qu'il y ait une réalité en mouvement, une substance du mouvement.

     

     

     

    Je ne sais pas où il faut s'arrêter ; je ne sais pas s'il faut s'arrêter ou descendre encore.

     

     


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