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texte Bruno Toméra ill. jlmi 2023
La veuve me dit
- O mon pauvre Bruno, on est bien peu de chose.
- A qui le dites vous, lui dis je, en regardant le macchabée gelé, allongé blanchâtre dans l'éternité.
Faut bien exorciser les départs, inciser le bubon, agiter les mouchoirs avant de visser le couvercle et pousser le tout dans un coin de la mémoire édulcorée.
Bon dieu, ceux qui nous précèdent ne sont que des empafés à nous rappeler que la fusée pour le néant est parée pour nos zigues mais il est toujours plus facile de pleurer sur la fatale inertie des autres parce que ça veut dire que l'on est toujours debout à admirer la ligne d'horizon sur cette planète gracieuse et qu'avec de la bouffe, un lit moelleux et les rondeurs d'une fille dedans, on voudrait y squatter perpétuellement sans trop se poser de questions sur la finalité du bouillon de culture.
Et puis l'âme... Ce passe partout accommodant, est-elle convaincue de cette balade inédite dans le rien ?
Posséder la conscience de soi n'est pas assez, cette trouillarde conscience en veut des frissons, alors l'âme c'est la suprême surprise, cerise sur le gâteau rance.
Et peut être que l'âme de mes chats écrasés m'attendent et puis l'âme de cette cinglée de sardine suicidaire tenace à s'échouer sur cette plage de matin du monde, trois fois je l'ai remise dans le sens du large et ces boucs émissaires de taureaux qui canalisent toute la féroce inexistence de ces bouchers en collant moule burnes scintillant et des traumatisés sexuels jouissant de la souffrance avec leur pétoire lustrée à deux coups. Tous mes animaux savent à quoi s'en tenir et n'en demande pas tant, de l'âme et du saint Frusquin.
Et puis l'âme des vieux journaux et leurs dépêches sanguinolentes et leurs hommages niais immérités. Et l'âme de l'enfance innocente qui n'est qu'un conte pour flatter le sentiment de survivance des parents devant ce parterre de mioches, futurs connards aussi sûr que le sont leurs géniteurs. On s'extasie bien sur n'importe quoi. Que l'on foute tout ça dans un colissimo, direction les tréfonds de la galaxie la plus lointaine. Côtoyer un ramassis de crétins vivants est déjà une épreuve, alors imaginer se les taper dans l'au-delà, cela tenait de la philosophie tordue.
Une goutte fraîche d'eau bénite me sortit de ma torpeur méditative, la salle de l'ultime repos était comble de spectateurs alléchés attendant contrits de jouer le premier rôle, le goupillon ne chômait pas à balancer la sainte flotte, un sérieux essorage s'imposerait bientôt pour le gisant impassible sous cette giboulée sacrée.
Une abeille dans mon cerveau s'amusait d'un virtuose vol acrobatique. Etourdi, je me dirigeais vers la flémarde lueur de la sortie d'un pas pressé.
Pressé...
je me demande bien pourquoi ?...
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texte Paul Verlaine ill. jlmi 2023 d'après Jet James - Water Lily
Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux
Tristement luisaient sur les calmes eaux.Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
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sculpture poétique de jlmi sur la Voyeuse interdite
de Nina Bouraoui
Nina Bouraoui vue par Franck FervilleEt ils violent.
Le reste n’existe plus
Gouffre de l’a priori et de l’inné
Esclaves du sexe ne cherchez pas
Vous ne trouverez jamais un regard complice
Arrachons rideaux et voiles
Un carnaval de mains brisera le silence
Se faire une histoire avant de regarder le vrai
Je suis l’œil indiscret caché derrière vos trous de serrure
Je nomme mes disgrâces : maux de la Beauté
Une part dérisoire de fausse liberté
Accroupie derrière une table basse
Zohr ma sœur aînée
Attend la fonte de la menthe
Appauvris par des rubans trop serrés
Ses cheveux tombent aujourd’hui
En mèches inégales
Sur son corps aux veines apparentes
Zohr ignorait que la mort était déjà en elle
Zohr la transportait dans toute la maison
Et s’endormait dans ses bras
Poussée par l’instinct de survie
Je chasse la décadence par la décadence
Par la douleur de l’interdit
Je réveille mon corps
Le sauve in extremis de la chute
Je m’enfante moi-même
Seuls les yeux sont intacts
Dialogues maladroits entre l’absurde et l’absurde
D’un présent lointain
Ignorer le temps
Il ne passe pas, il trépasse
Taquiner les rats et nourrir les fous
La ville se rapproche du désert
Epicentre du néant
No man’s land de nulle part
Le désert s’écoute seul
Le soleil haussait les épaules
L’arbre continuait à vivre
Son odeur disparut au fil des jours
Un mélange d’ambre, de musc et de réglisse.
Petite symphonie macabre
Pour fête clandestine des sens désaxés
Requiem pour le vide
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texte Sofia Queiros ill. jlmi 2022
Int. Nuit
Parce qu’il fait chaud je ne dors pas.
Le courant d’air laissé volontairement dans la chambre ne suffit pas.
Il y a comme des libellules fluorescentes dans l’obscurité au-dessus de l’armoire charentaise.
Je compte, elles sont au nombre de quatre.
Une cinquième s’installe sur mes pupilles. Et y demeure jusqu’à poings fermés.
Dans mon sommeil je crie toujours deux trois choses qui se bousculent et qui débordent.Et puis plus rien de rêves
in ‘’et puis plus rien de rêves’’, Éditions Isabelle Sauvage, 2012
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