• l'oeil & la plume...  le Terrier

    texte Marie Alcance                                                                     ill. jlmi 2023

     

    Certains jours, je voudrais

    laver ma vie à grande eau  :

    qu’un mur de pluie s’abatte

    sur cette pièce où s’entassent

    les plinthes, les moindres recoins, la bête.

    Derrière tous les autres mots était tapi celui-ci.

    Et pas de fascination.    

     

    L’esprit aménagera sa pièce comme un terrier,

    mais on la débusquera,

    on la traînera dehors, la bête,

    en pleine nuit, sur la place publique,

    et l’on invectivera

    les poils ternes qui couvrent ses yeux

    - il faut se persuader                 

    que rien ne dégouline dans l’âme -.    

     

    Elle écoute,

    se couche sur la pierre demander grâce  :

    que l’on voit enfin son œil

    et la béatitude d’un verset

    qui la parcourrait.

     

    Alors, dans le terrier, elles seraient seules  :

    - la bête et la poésie, la poésie et la bête -

    impossible d’aller ailleurs

    que dans ces pièces les plus reculées

    où la vie baignerait.

     

     

     


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  • l'oeil & la plume...  passage de l'inconnu

    texte & ill. Jean Sénac

     

     

    Fuyez ! Ne laissez rien !

    Pas une trace obscure

    sur le roc ! La mer est passée.

     

    Que la lumière joue,

    la mémoire ne dure

    que l'instant d'un baiser.

     

    Ton visage… Était-il

    mitoyen de l'aurore

    ou crispé dans sa nuit ?

     

    Cheveux fous ! De mon cœur

    il ne reste qu'un cri

    que le soleil dévore.

     


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  • texte & lill.  Naza Roots

     


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  • texte & photo André Laude

     

     

     

    A Renée Batilliot

     

     

    dans un pays troué

    j'écris mes famines

    Avec le bleu de mon sommeil

    j'élimine les ogres et les fous

    dans un pays roux

    je m'efforce Je m'échine

    La mort gagne à tous les coups

    Je meurs d'une œillade assassine

    je meurs d'un songe de Chine

    d'une lune égorgée par cent loups.

     

    De la nuit

    je transcris les messages violets et mauves

    De la nuit

    je sauve un enfant au col blanc

    Il n'est pas lueur qui puisse

    ici-bas

    entre chien et loup

    briser les flammes dures du supplice.

     

    Sang

    sang rauque

    au creux de mes paumes

    qui appelle et nomme en vain

    Sang couleur de vin

    couleur de nuit d'orage sur Brest

    Sang où j'enracine désespérément le plus

    puéril de mes gestes

    à l'orée des pollens et des vagues îles

     

    j'ai vu l'homme couché dans son manteau de

    nuit

    j'ai vu la femme humiliée

    et l'enfant assis sur un tas d'ordures d'excréments

    j'ai vu flamber l'orient

    craquer les méridiens et tituber les aubes

    j'ai vu l'amante déchirer douloureusement sa

    robe

    j'ai vu le père se taire auprès des cendres du

    foyer

    j'ai vu l'amour bafoué l'espoir insulté l'avenir

    mis aux fers

    je n'ai jamais renoncé à la lumière

    au Feu sur la terre.

     

    Rumeur du ressac à Roscoff

    ton visage

    et puis tes mains sur mes yeux

    Le temps des otages et puis le temps des amants

    l'aube de ceux qui savent caresser la vie sans

    la déchirer

    comme une belle précieuse étoffe.

     

    Dans la paix des morts

    nous enracinons des songes violents

    dans leurs regards éteints des blés de fable

    lèvent

    Leur silence est une étrange sève

    qui coule le long de nos veines

    Déchiquetés nous aimons encore

     

    La ville s'ouvre comme une étoile à cent branches

    dans les rues les amants font les soleils

    la lumière coule le long des façades

    les bourreaux traquent les anges et les merveilles

    et pourtant des cœurs battent au secret des

    pierres

    proclament la puissance des passions dans

    la noirceur des guerres

     

    De mes mains maladroites je bâtis une demeure

    un poème d'ailes et d'eaux

    pour que tu habites enfin un moment de Palestine

    un versant d'évangile

    je te cache au plus profond de la plus humble

    fleur

    sous l'ortie sèche qui flambe au milieu des cailloux

    je n'ai que toi pour faire face à l'inconnu, aux

    orages des enragés.

     

    La caresse te donne la courbe des eaux

    et ton visage se confond à la transparence des

    oiseaux

     

    l'amour te fait plus belle que dans la comptine

    et ton corps saigne majestueux sur mes lèvres

    enfantines

     

    Les mots que je dis sont aussi vrais que la mort

    et la pourriture

    Je mens sans doute mais à travers eux tu touches

    enfin l'azur.

     

    le vin de tes veines

    éblouit ma sieste

    A ton premier geste

    la terre tourne dans mon sang

    Je te couvre d'un amour agreste

    grand comme un champ de céréales

    où en vain des armées nocturnes

    tirent des rafales

    sans jamais blesser ton visage

    qui est une étoile pure bercée par les vents du sud.

     

    Marthe au miroir s'interroge

    — Où est l'amant de minuit

    Dans la nuit noire où je loge

    j'écoute sa voix de bête bleue

    Je veux crier mais les murs sont hauts

    Et le vent nourrit des chiens gras

    L'amour est une mare empoisonnée

    où deux corps glissent en un dialogue de silence.

     

     


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  • texte & dessin Abou Nouwas   (756-815)*

     

    Vin clairet de jarre,
    Soleil de nuit noire,
    Larme à la paupière,
    Vin du Paradis !


    Au soleil d’antan,
    D’un jaune safran,
    Pupille persan
    Qu’en geôle on a mis !


    J’ai vu un barbare
    Venu d’un village.
    Il frappa la jarre :
    d’un seul coup s’y prit.


    Lors jaillit le vin :
    De face il nous vient.
    En jarre il devient
    Épuisé, vieilli.


    Il répand l’odeur
    De l’absinthe en fleur,
    Pour les francs-buveurs,
    Au ciel obscurci.

     

     

    Traduit de l’arabe par Vincent-Mansour Monteil in Le Vin, le vent, la vie, Actes Sud, 2009.

     

    * ce poète était un frondeur face à l'Islam

     


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