• l'oeil & la plume... descente dans l'infini

    texte de jean jaurès                                                                     ill. jlmi  2019

     

    Dans cette architecture étrange qu'on appelle la matière, nous avons beau descendre vers les fondements, nous ne trouvons point une assiette fixe : les pierres que l'on croyait fondamentales entrent en mouvement ; elles entrent en danse, et c'est sur des tourbillons subtils que repose jusqu'ici l'édifice solide du monde. Mais, descendons plus bas encore, et au-dessous même de l'atome ; l'atome, dit-on, est un tourbillon d'éther ; c'est donc l'éther qui va être la matière première, le substratum définitif de tous les mouvements ; soit, mais l'éther lui-même, dans son apparence d'immuable sérénité, est traversé de mouvements innombrables ; tous les rayonnements de lumière et de chaleur, tous les courants et tous les jets d'électricité et de magnétisme, tous les mouvements qui correspondent dans les corps aux phénomènes de la pesanteur et, dans les composés chimiques, aux phénomènes de l'affinité émeuvent   incessamment l'éther ; et appuyer le monde sur l'éther, c'est l'appuyer sur une mer de mouvements immenses et aux vagues toujours remuées. Il faut bien pourtant que les mouvements de l'univers soient les mouvements de quelque chose ; il faut bien qu'il y ait une réalité en mouvement, une substance du mouvement.

     

    Je ne sais pas où il faut s'arrêter ; je ne sais pas s'il faut s'arrêter ou descendre encore.

     

     


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  • l'oeil & la plume... tempête

    texte de marie allègre                                                                  ill. jlmi 2020

     

    Il y a de la pluie et de l’orage dans tes yeux quand tu m’embrasses.

    Deux iris de lumière grise
    Nectar de nuage guerrier
    Éclair abrasif et dardé
    Tombent
    Sur la terre mouillée des miennes
    Qui te boivent et s’abîment

    Je sens que je vais aimer tes tempêtes.

     


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  • l'oeil & la plume... il n’y a pas de réponses

    texte de arthur fousse                                                                   ill. jlmi 2020

     

    vos corps sont sans prénoms, vos larmes sont sans merveilles, le conte du clodo fou pleure.

    il suffit de regarder 
    dans l’œil du cobra,
    il suffit de regarder dans l’œil d’un mort, 
    ou dans le pixel qui hurle dans le téléviseur. 
    ou encore dans l’œil de bœuf de la terreur, 
    ou dans l’iris pâle d’un clodo fou,
    ou d’un épileptique maniaque 
    hurlant pour plus de mort.
    il suffit de regarder à la lueur d’une ampoule qui pâlit 
    l’inconstant plafond
    d’une larme qui s’effondre
    sur le parquet plat d’un ciel mouvant.
    il suffit de compter le glas d’une montre, 
    d’une trotteuse lasse de courir
    pour entendre tous les cadavres que la vie amorce 
    d’une seule détente
    courant sans faux pas.
    il suffit de mourir dans le noir et de regarder dans un asile 
    ces vitres de verre teintes,
    il suffit de regarder la peau crispée 
    d’un dépressif sauvage
    pour sentir la bouilloire hurler 
    d’un crissement sans nom.

    mort et sans bruit, 
    préalable sans frontière.
    évangiles tonitruants d’un chagrin 
    éternel, d’un enfer insomniaque, 
    d’une pute borgne,
    d’un terroriste amnésique de son amour, 
    d’un paralysé n’arrivant à se sucer la queue 
    pendant que rien ne répondra à son nom,
    à ces mains lasses cherchant dans l’air
    de quoi nourrir l’immobilisme du monde. 
    la pauvreté de notre désir est sans limites.
    et on nous apprend qu’un homme en bonne santé 
    est plus puissant qu’un homme malade.
    et notre système éducatif nous apprend 
    qu’il faut comprendre pour ne pas hurler,
    mais qui a entendu la larme de ciguë qu’un homme 
    nourrit jour après jour, dans le noir
    sans un bruit,
    jusqu’à s’étouffer sous le grincement de larmes 
    plus agiles que ses doigts…
    qui a entendu un bipolaire cinglé hurler 
    pour sentir son prénom palpiter

    plus que son amour, 
    plus que son cœur, 
    plus que sa honte.
    qui entend dans le noir
    la clameur d’âmes évanouies
    qui ne ressortiront jamais des ténèbres
    de la noirceur ?
    d’un vide si abyssal 
    qu’il devient transparent 
    au simple pas
    dans un couloir ;
    si noir, que l’on se noie 
    dedans et qu’on n’en ressort jamais 
    que trop tard
    quand la lumière a abattu toutes ses 
    cartes
    et le ciel tous ses rêves.

    mort
    et sans épitaphe
    dans une guerre du silence.

    mort sans parafe,
    signant en lettres de sang 
    l’anonymat de l’air,
    la constante du soupir, 
    la terreur de la honte
    et l’horreur de tout vivant.

    nous mourrons dans le noir agitant des bras 
    comme des draps brisés
    aux plis échancrés comme des lèvres hurlantes.

    nous hurlons dans le noir 
    d’un silence si profond
    que nous n’entendons même pas hurler 
    la sirène du monde.

    nous brûlons le quart de mégot 
    en existentiels karmas,
    nous fumons à la racine l’os 
    qui nous tient d’égo,
    un égo plus maigre qu’un rouleau de cuisine, 
    un égo plus plat qu’une assiette brisée,
    un égo si triste
    que si les larmes pouvaient couler,
    un rideau de sel entarterait toutes les fenêtres 
    du monde d’un gris terrible.

    non,
    nous ne sommes pas heureux.
    nous crions de ne pouvoir satisfaire
    ce que l’esprit demande
    à proportion de ce que la chair désire.

    nous hurlons de satisfaire le bas branlant 
    de la tour de Pise,
    nous hurlons de nous esclaffer dans le noir 
    en scarifiant des bras ridés
    ne serait-ce que pour sentir la monstruosité 
    de notre horreur
    voiler le consensus 
    même du monde.

    nous pleurons, 
    nous pissons, 
    nous chions, 
    nous saignons,

    le bas des immeubles s’effrite sous un battement de paupière, 
    les dunes s’abattent comme des automnes sur des vies
    plus pauvres qu’un sablier de verre bâti dans une bouteille 
    en plastique tranchée.

    et on ne nous apprend pas
    la terreur d’un homme seul entretenant une plante séchée 
    dans la condamnation éternelle
    d’une honte privatisée.

    non,
    nous ne sommes pas heureux.

    nous pleurons, 
    nous pissons, 
    nous chions, 
    nous saignons.

    et dans le respectable réquisit d’une société qui tue 
    sans signer de chèques
    qu’au bas d’une mort à crédit pourvue à seule 
    mention de drame,
    nous abattons les rideaux,
    nous sortons les couteaux, 
    nous entaillons la chair, 
    nous travaillons à l’esprit
    ce que le monde ne peut user 
    jusqu’à la moelle.

    nous secondons le tonnerre, 
    nous travaillons la pluie,

    nous fanons sous le bruit des pas de nos maîtres,

    nous sommes des mainates secouées par le tonnerre, 
    nous sommes des singes jouant sur un bidon, 
    cogitant pour l’élémentaire
    dans la comédie politique de nos égos, 
    travaillant le vide de l’air
    et le plat du verre
    dans un regard plus triste
    que n’importe quelle nuit d’hiver.

    SEUL.

    SANS PRENOM.

    ANONYME

    ET MORT,

    NOUS NOUS LEVONS.

    et dans le noir
    nous épelons le sommeil 
    comme nous éplucherions 
    un rêve
    d’un baiser 
    plus mortel
    que n’importe quelle femme 
    aimant
    n’importe quel schizophrène fou.

    nous nous taisons 
    et mourrons.

    il n’y a pas de réponses.

     

     


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  • l'oeil & la plume... France, Côte Vermeille

    texte de cathy garcia                            photoX le Cap Béar et la plage de Paulilles

     

    Octobre 1997

     

    France, Côte Vermeille

     

    Des journées de marche en pleine nature, un grand bol d'air et nous voici à cette heure, quelque part entre le Cap Béar et la plage de Paulilles. (Je ne le sais pas encore mais quand je reviendrais ici, on sera en octobre 2003, et ma fille mettra pour la première fois ses petits pieds dans la mer). Nous sommes assis, l’un contre l’autre, sur la petite terrasse blanche et ensoleillée d'un cabanon désert. Petite crique inondée de lumière, une brise d'enfer nous envoie ses rafales. L'eau est froide mais très attirante, le paysage, splendide !

     

    Dès que le vent s’essouffle un peu, le soleil nous mord délicieusement. Bel été indien et je termine Pleure Geronimo de Forest Carter. Moi aussi j’ai beaucoup pleuré. Quelle vie ! 

     
    Plus tard, nous voici à l'abri d'une autre terrasse, un peu plus haut, où sont entreposées deux planches à voiles et un tout petit bateau blanc baptisé : Sam suffit.

     

    Moi aussi.

     

    Le vent chahute, la mer se rebiffe, satin lumineux, blanche effervescence.
    L'eau et l’air s'enlacent, jeux de séduction. Les mouettes à l'affût, tournoient, plongent, frôlent de leurs ailes les crêtes étincelantes, avant de repartir à l’assaut du ciel limpide. Le soleil brille, imperturbable, indifférent au ballet de becs et de cris, aux frasques d’Éole qui emmêle sylphes et sirènes.

     

    La lumière est un pur enchantement. La mer tour à tour se creuse, se gonfle, brise ses vases bouillonnant contre les colosses de pierre déchiquetée, répand son écume sur leurs flancs.

     

    Eau, vent, roche, soleil. La nature sauvage et grandiose se passe de mots.

     

    in Calepins voyageurs et après ?

     

     

     

     


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  • l'oeil & la plume... poème à une vieille dame

    texte de arthur fousse                                                sculpture de yves barbier

     

     

     

    j’ai lu mon magazine
    d’acupuncture
    ils disent
    qu’on peut guérir le cancer 
    en travaillant sur
    ses émotions.

    tu savais qu’on pouvait guérir 
    de la schizophrénie en mangeant 
    du chou-fleur ?

    respirer,
    cela permet de délivrer l’âme 
    de ses terreurs.

    ah ouais, je dis.

    oh oui,
    et il faut boire du jus
    de coquilles d’œufs
    pour hydrater tout le corps 
    de potassium
    pour nourrir la beauté de Dieu.

    j’ai guéri mon genou 
    en priant,

    même les médecins 
    ne savaient le guérir,

    tu vois que je ne suis pas si folle.

    et la vérité,
    c’est la solitude enfermée dans une huître
    avec des murs qui ne rendent pas de perle.

     

    et la vérité,
    c’est l’existence comme un compacteur d’ordure 
    qui fait d’un cœur une bobine fripée
    constipé de son rêve,
    prête à chier son désir affamé.

    je lui offre 
    des fleurs

    (parfois)

    et j’essaie de la faire rire,

    mais elle est perdue 
    et seule

    et dingue d’une folie banale 
    qui tue tous les dingues 
    cathos
    et toutes les pauvres petites 
    vieilles solitaires
    de la vie qui meurt et qui pense.

     

    un jour peut-être
    les corps qui furent poussière 
    redeviendront des roses,
    et les cœurs
    des chardons pleins d’épines 
    que rongeront les ânes.

    pas ce soir.

    les jours comme des graviers
    se jettent sur les tombes  
    pour épeler les prières.

    les désirs comme des tournevis
    ne s’agencent pas dans le bon trou,

    et la croix d’un mot
    peut faire vivre un homme
    jusqu’à ce que son existence s’assèche
    comme les neiges bleues au sommet de la chance.

    nous sommes tous voués 
    à une paralysie complète, 
    à un inceste de l’esprit
    pour n’avoir pas à mourir trop tôt.

    nous avons peur,

    nous sommes effrayés sous les parvis de vos sourires, 
    nous sommes terrorisés sous les abat-jours de vos visages, 
    sous les frontons de vos esprits,
    sous les abattements de vos dettes,

    nous sommes constipés d’un manque de vie
    et d’un désespoir plus prolifique que l’esprit 
    d’un génie alimenté de homards jusqu’à la fin du monde.

    nous sommes des grains de raisins que mastique la mort

    en ricanant du manque à gagner à propos du crédit premier.

    les mots s’usent, 
    les vieux pensent,
    les vieux élident leur peur avec la plume d’un rêve effrayé.

    les morts cherchent, 
    les vers trouvent.

    les sommiers comme des corps s’affaissent

    ils finissent jaunis comme nos esprits

    et on les jette

    pourvu que la déchetterie passe

    et que nous mourrions tous,

     


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