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Par jlmi le 17 Octobre 2020 à 00:49
texte giselle lucia ill. du film a perfect ending de nicole conn 2012
Il est vrai que parfois le silence
Devient un châtiment insupportable
Et l’agonie de mes mains vides
L’unique consolation pour tresser
Les cordes des harpes brisées.
La nuit me renvoie des solitudes
Toiles maculées de haine et de distance
Pour me laisser pieds et mains liés.
Je me suis crue coupable
Etouffée dans la poussière de temples obscurs
Entourée de fantômes égarés
Qui essayent de moissonner des fleurs rouges
Aux graines bleues.
Je me refusai au cri encore et encore,
Revêtis une blouse d’illusions démesurées
Jusqu’à ce que j’aie goûté, gorgée par gorgée
Le vin des dieux
Ceux que l’on vénère au fil de la vie
Pour qu’ils ne trébuchent pas devant leurs propres piédestaux.
Je cessai d’être esclave de mots inventés
Et n’énumérai pas les flèches du péché et de la vertu.
Rien ne provoqua ma fuite
Hors de ce masque que j’habite
Seulement se brisèrent ces peurs dans mon corps
L’ombre muette devant le miroir de mes propres yeux.
Sur mes lèvres éclata la guerre du verbe
Et moi, Sapho, femme aux obscures nostalgies
Je compris que mes dieux eurent toujours raison
Et que parfois
Le silence peut devenir un châtiment insupportable.
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Par jlmi le 16 Octobre 2020 à 00:42
texte michèle voltaire marcelin ill. bare boris
À James
l’après-midi flambe à travers la fenêtre
à l’heure de la sieste
il est interdit de parler au poète
do not disturb
because
je fais l’amour avec des mots
derrière la porte
et dans mon lit
il ne faut pas déranger le poète
il n’y a pas de réponse au numéro que vous avez composé
je m’absente du monde momentanément
je laisse la misère de côté
le temps de me dire
pousse la porte du pied
prends ton pied
il est interdit de parler au poète
jusqu’au mois d’août
because je suis in the bed
avec des mots
des mots sans pieds ni tête
des mots aboiements de lune aux chiens
des mots frissons d’iguanes éblouis par des roses
des mots tuiles qui me tombent sur la tête
car je ne sais pas jouer la comédie
des mots sables mouvants
des mots clous de crucifixion
et de Pâques ressuscitées
des mots flagellations sur des cuisses dénudées
des mots promissions
des mots Place de l’Opéra
ou Place Saint-Pierre
ou Place où tu voudras
between Brooklyn and Africa
il est interdit de disturb le poète
Je n’y suis pour personne
quand les mots courent dans ma tête
et marchent dans mon sang
trois petits tours et puis s’en vont
attendez la fin de l’été
il fait un temps à mettre un poème à la rue
Michèle Voltaire Marcelin, « Il fait un temps de poème », in © Terre de femmes - 150 ans de poésie féminine en Haïti, Éditions Bruno Doucey, Paris, 2010.
Merci à cg pour la découverte
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Par jlmi le 15 Octobre 2020 à 00:22
texte anne julien photo jlmi
Eh Paol ! Tu m'entends ? Je parle par dessus l'océan
dans la langue muette. Paol, je parle sans, je viens de Brest
je parle la langue des français mais la tienne, je parle avec.
Je viens du quadrillage et de la ruine de guerre avant moi
je viens d'avant
et sans les mots de la terre et du vent de nos monts noirs
je parle à même la terre et le vent Je parle bouche sèche et fougères
même si je viens de Brest je parle par les ribins, Paol tu m'entends ?
J'aurais voulu ma langue pareille à mon pays, l'écorche sur les cailloux
le dur et la courbe le noir des corneilles noires du ciel-novembre
la nuit qui vient couvrir les lumières en feu sur la mer
et le chien qui court fou sur toutes les plages de Bretagne
J'aurais voulu ma langue pareille aux mousses sur la dune,
au caché dans le granit et qui s'entend doux
quand Youenn Gwernig chante, dans sa chemise
Mais j'ai la parole française taillée pour le cristal parole paternelle Paol
avec l'accent d'ici quand même qui pend à mon cou
la cloche des vaches quand elles rentrent à l'étable
les voitures du dimanche soir obligées de laisser passer les vaches
les vaches qui laissent leur bouse sur le chemin je suis l'enfant de ça
qui sent le pays sous la langue et sans
je suis l'enfant sans langue qui dit vent et vit an avel pour l'envolée
et qui ne trouve pas les mots pour dire la pluie et son gris
cette larme de morve et de crachins dans laquelle on s'aigrit
qui respire en nous qui sème des gens courbés dans les rues
pour traverser entres les gouttes mais on en sort mouillés pour sûr
puisque la pluie d'ici c'est du rideau
Tu vois Paol il me reste les brujun, les miettes pour les filles des villes
J'ai bien compris, tu sais, que la langue dans laquelle je suis née
ce n'était pas celle-là pour laquelle j'étais taillée
alors j'ai fait poète un peu pour me tirer par les oreilles
mais Paol tu m'entends ? La langue dans laquelle je marche
les bottes dans la terre et la main sur les talus,
jamais apprise et jamais oubliée
6 novembre 2012
à Paol Keineg
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Par jlmi le 11 Octobre 2020 à 00:24
texte de louise glück photo ca. 1977
Pour ce qui est de la façon de tomber amoureux :
elle est, dans mon cas, absolue. Absolue, et, hélas, fréquente –
ainsi fut-elle dans ma jeunesse.
Et toujours d’hommes plutôt infantiles –
immatures, moroses, ou poussant timidement du pied les feuilles mortes :
à la manière de Balanchine.
Ils ne sont pas pour autant à mes yeux des versions de la même chose.
Moi, avec mon inflexible Platonisme,
ma façon obstinée de n’envisager qu’une seule chose à la fois :
je décrétais contre l’article indéfini.
Et pourtant mes erreurs de jeunesse
m’enlevaient tout espoir, car elles se répétaient,
comme à l’ordinaire.
Mais en vous je sentis quelque chose au-delà de l’archétype –
une vraie exubérance, une vivacité et l’amour de la terre
tout à fait étrangers à ma nature. À mon crédit,
je bénissais en vous mon bonheur.
Le
bénissais absolument, tout comme ces années.
Et vous dans votre sagesse et votre cruauté
vous m’appreniez peu à peu que ce terme n’a pas de sens
tirés du recueil Vita Nova, traduction de Raymond Farina, Po&sie, n° 90, Paris, 1999
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Par jlmi le 9 Octobre 2020 à 00:58
texte de michèle voltaire marcellin photo che guevara
Dans l’altiplano
Pas l’ombre d’un oiseau
Ni l’odeur d’une feuille
Seulement des broussailles desséchées par le soleil
Sur le calendrier d’Octobre,
Les feuilles arrachées des jours
S’arrêtent au chiffre 9
Ce jour d’Octobre dans la pénombre
Un homme à moitié nu est étendu
Son sang s’est arrêté de couler
Mais la colère circule encore dans ses veines
Livré à la mort
Ses yeux brûlent de lumière
Oeil gauche Espoir, Oeil droit Combat
Quelqu’un de son puissant geste
A ordonné son silence soudain
Mais dans l’éclatement des balles
Ce silence a fait tressaillir le monde
Et dans la transparence du jour
Son corps délivré à jamais de toute gravité
Métamorphosé en poussière de flammes,
De ciel, d’arbres explosés, de vert, de jungle
Le vent et les nuages l’ont dispersé
Aux quatre coins de l’univers
Dans l’altiplano
pas l’ombre d’un oiseau
ni l’odeur d’une feuille
Seulement des broussailles desséchées par le soleil
Il voulait apprivoiser la terre bolivienne
Renaître sentinelle
Extraire de la violence une vie libérée
Un amour jamais nié
Mais aventurier au souffle suffoquant
Arpenteur sans ancrage ni mémoire
Son histoire est tourmente de sang
Et le monde vorace, confus et révoltant
N’offre que trahison, abîme, embuscade
Ocre et Sang. Terre, Eau et Feu
Dans le jour malade
La peine est indéfinissable
Et les amis sans alibi
Mais malgré les promesses trahies
Et ceux qui meurent les mains nues
Il reste la lumière de ses yeux
Oeil gauche Espoir, Oeil droit Combat
Dans l’altiplano
pas l’ombre d’un oiseau
ni l’odeur d’une feuille
Seulement des broussailles desséchées par le soleil
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