• l'oeil & la plume...  confessions de Sapho après un délire à la folie

    texte  giselle lucia                      ill. du film a perfect ending de nicole conn  2012

     

     

     

    Il est vrai que parfois le silence

    Devient un châtiment insupportable

    Et l’agonie de mes mains vides

    L’unique consolation pour tresser

    Les cordes des harpes brisées.

     

    La nuit me renvoie des solitudes

    Toiles maculées de haine et de distance

    Pour me laisser pieds et mains liés.

    Je me suis crue coupable

    Etouffée dans la poussière de temples obscurs

    Entourée de fantômes égarés

    Qui essayent de moissonner des fleurs rouges

    Aux graines bleues.

     

    Je me refusai au cri encore et encore,

    Revêtis une blouse d’illusions démesurées

    Jusqu’à ce que j’aie goûté, gorgée par gorgée

    Le vin des dieux

    Ceux que l’on vénère au fil de la vie

    Pour qu’ils ne trébuchent pas devant leurs propres piédestaux.

    Je cessai d’être esclave de mots inventés

    Et n’énumérai pas les flèches du péché et de la vertu.

     

    Rien ne provoqua ma fuite

    Hors de ce masque que j’habite

    Seulement se brisèrent ces peurs dans mon corps

    L’ombre muette devant le miroir de mes propres yeux.

     

    Sur mes lèvres éclata la guerre du verbe

    Et moi, Sapho, femme aux obscures nostalgies

    Je compris que mes dieux eurent toujours raison

    Et que parfois

    Le silence peut devenir un châtiment insupportable.

     

     


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  • l'oeil & la plume... il fait un temps à mettre un poème à la rue

    texte  michèle voltaire marcelin                                                      ill. bare boris

     

    À James

     

    l’après-midi flambe à travers la fenêtre

    à l’heure de la sieste

    il est interdit de parler au poète

    do not disturb

    because

    je fais l’amour avec des mots

    derrière la porte

    et dans mon lit

     

    il ne faut pas déranger le poète

    il n’y a pas de réponse au numéro que vous avez composé

    je m’absente du monde momentanément

    je laisse la misère de côté

    le temps de me dire

    pousse la porte du pied

    prends ton pied

     

    il est interdit de parler au poète

    jusqu’au mois d’août

    because je suis in the bed

    avec des mots

    des mots sans pieds ni tête

    des mots aboiements de lune aux chiens

    des mots frissons d’iguanes éblouis par des roses

    des mots tuiles qui me tombent sur la tête

    car je ne sais pas jouer la comédie

    des mots sables mouvants

    des mots clous de crucifixion

    et de Pâques ressuscitées

    des mots flagellations sur des cuisses dénudées

    des mots promissions

    des mots Place de l’Opéra

    ou Place Saint-Pierre

    ou Place où tu voudras

    between Brooklyn and Africa

     

    il est interdit de disturb le poète

    Je n’y suis pour personne

    quand les mots courent dans ma tête

    et marchent dans mon sang

    trois petits tours et puis s’en vont

    attendez la fin de l’été

     

    il fait un temps à mettre un poème à la rue

     

    Michèle Voltaire Marcelin, « Il fait un temps de poème », in © Terre de femmes - 150 ans de poésie féminine en Haïti, Éditions Bruno Doucey, Paris, 2010. 

     Merci à cg pour la découverte

     


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  • l'oeil & la plume... eh Paol ! tu m'entends ?

    texte anne julien                                                                            photo jlmi

     

     

     

    Eh Paol ! Tu m'entends ? Je parle par dessus l'océan

    dans la langue muette. Paol, je parle sans, je viens de Brest

    je parle la langue des français mais la tienne, je parle avec.

     

    Je viens du quadrillage et de la ruine de guerre avant moi

    je viens d'avant

    et sans les mots de la terre et du vent de nos monts noirs

    je parle à même la terre et le vent Je parle bouche sèche et fougères

    même si je viens de Brest je parle par les ribins, Paol tu m'entends ?

     

    J'aurais voulu ma langue pareille à mon pays, l'écorche sur les cailloux

    le dur et la courbe le noir des corneilles noires du ciel-novembre

    la nuit qui vient couvrir les lumières en feu sur la mer

    et le chien qui court fou sur toutes les plages de Bretagne

     

    J'aurais voulu ma langue pareille aux mousses sur la dune,

    au caché dans le granit et qui s'entend doux

    quand Youenn Gwernig chante, dans sa chemise

     

    Mais j'ai la parole française taillée pour le cristal parole paternelle Paol

    avec l'accent d'ici quand même qui pend à mon cou

    la cloche des vaches quand elles rentrent à l'étable

    les voitures du dimanche soir obligées de laisser passer les vaches

    les vaches qui laissent leur bouse sur le chemin je suis l'enfant de ça

    qui sent le pays sous la langue et sans

     

    je suis l'enfant sans langue qui dit vent et vit an avel pour l'envolée

    et qui ne trouve pas les mots pour dire la pluie et son gris

    cette larme de morve et de crachins dans laquelle on s'aigrit

    qui respire en nous qui sème des gens courbés dans les rues

    pour traverser entres les gouttes mais on en sort mouillés pour sûr

    puisque la pluie d'ici c'est du rideau

    Tu vois Paol il me reste les brujun, les miettes pour les filles des villes

     

    J'ai bien compris, tu sais, que la langue dans laquelle je suis née

    ce n'était pas celle-là pour laquelle j'étais taillée

    alors j'ai fait poète un peu pour me tirer par les oreilles

    mais Paol tu m'entends ? La langue dans laquelle je marche

    les bottes dans la terre et la main sur les talus,

     

    jamais apprise et jamais oubliée

     

    6 novembre 2012 

    à Paol Keineg 

     


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  • l'oeil & la plume...

    texte de louise glück   photo ca. 1977

     

     

     

    Pour ce qui est de la façon de tomber amoureux :

    elle est, dans mon cas, absolue. Absolue, et, hélas, fréquente –

    ainsi fut-elle dans ma jeunesse.

    Et toujours d’hommes plutôt infantiles –

    immatures, moroses, ou poussant timidement du pied les feuilles mortes :

    à la manière de Balanchine.

    Ils ne sont pas pour autant à mes yeux des versions de la même chose.

    Moi, avec mon inflexible Platonisme,

    ma façon obstinée de n’envisager qu’une seule chose à la fois :

    je décrétais contre l’article indéfini.

    Et pourtant mes erreurs de jeunesse

    m’enlevaient tout espoir, car elles se répétaient,

    comme à l’ordinaire.

    Mais en vous je sentis quelque chose au-delà de l’archétype –

    une vraie exubérance, une vivacité et l’amour de la terre

    tout à fait étrangers à ma nature. À mon crédit,

    je bénissais en vous mon bonheur.

    Le

    bénissais absolument, tout comme ces années.

    Et vous dans votre sagesse et votre cruauté

    vous m’appreniez peu à peu que ce terme n’a pas de sens

     

    tirés du recueil Vita Nova, traduction de Raymond Farina, Po&sie, n° 90, Paris, 1999

     


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  • l'oeil & la plume... la lumière de ses yeux

    texte de michèle voltaire marcellin                                      photo che guevara

     

     

    Dans l’altiplano

    Pas l’ombre d’un oiseau

    Ni l’odeur d’une feuille

    Seulement des broussailles desséchées par le soleil

     

    Sur le calendrier d’Octobre,

    Les feuilles arrachées des jours

    S’arrêtent au chiffre 9

     

    Ce jour d’Octobre dans la pénombre

    Un homme à moitié nu est étendu

    Son sang s’est arrêté de couler

    Mais la colère circule encore dans ses veines

    Livré à la mort

    Ses yeux brûlent de lumière

    Oeil gauche Espoir, Oeil droit Combat

     

    Quelqu’un de son puissant geste

    A ordonné son silence soudain

    Mais dans l’éclatement des balles

    Ce silence a fait tressaillir le monde

    Et dans la transparence du jour

    Son corps délivré à jamais de toute gravité

    Métamorphosé en poussière de flammes,

    De ciel, d’arbres explosés, de vert, de jungle

    Le vent et les nuages l’ont dispersé

    Aux quatre coins de l’univers

     

    Dans l’altiplano

    pas l’ombre d’un oiseau

    ni l’odeur d’une feuille

    Seulement des broussailles desséchées par le soleil

     

    Il voulait apprivoiser la terre bolivienne

    Renaître sentinelle

    Extraire de la violence une vie libérée

    Un amour jamais nié

    Mais aventurier au souffle suffoquant

    Arpenteur sans ancrage ni mémoire

    Son histoire est tourmente de sang

    Et le monde vorace, confus et révoltant

    N’offre que trahison, abîme, embuscade

    Ocre et Sang. Terre, Eau et Feu

     

    Dans le jour malade

    La peine est indéfinissable

    Et les amis sans alibi

    Mais malgré les promesses trahies

    Et ceux qui meurent les mains nues

    Il reste la lumière de ses yeux

    Oeil gauche Espoir, Oeil droit Combat

     

    Dans l’altiplano

    pas l’ombre d’un oiseau

    ni l’odeur d’une feuille

    Seulement des broussailles desséchées par le soleil

     

     

     

     


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