• l'oeil & la plume... mendiants  

    texte  marie claire bancquart                                    sculpture stéphane bidegain

     

     

     

    En nous

    les morts deviennent vieux

     

    Nous faisons la monnaie

    de la pièce que nous avions déposée sous leur langue

    payant leur bon passage vers l’obscur.

     

    Puis nous ôtons centime après centime

     

    pour nous offrir des sentiments plus neufs

    qui nous habillent bien au large.

     

    A la fin, nous les avons ruinés, les morts.

     

    Ils n’ont plus qu’un peu de terre entre les dents.

     

    Pas même un souvenir.

     

    Ils mendient dans le noir. A la mauvaise aventure.

     

    in Thauma n°17

     


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  • l'oeil & la plume...  RIEN

    texte de Philippe Soupault               sculpture Tania Font - Deconstruction, 2020 

     

     

    Plus rien même pas de la cendre

    même pas le souvenir    plus rien

    Plus rien sauf cette joie de l'oubli

    ce vent de l'oubli qui arrache tout

    détruit tout et saccage le reste

    Le moment est enfin venu de ne plus espérer

    de ne plus attendre de ne plus croire

    de ne plus s'imaginer de ne plus trembler

    savoir qu'on ne craint plus le vide

    que tout est consommé consumé désincarné

    que ce qui était n'est plus    plus rien

    même plus    rien    même pas le néant

     

     

     

    Je ne ricane plus je ne souris plus

    je ne baisse plus les yeux ni ne les lève

    je ne les frotte même plus je ne dors pas

    je veille comme une pierre sans son ombre

    et je suis transparent comme le temps

    je vis comme vivent les nuages et la fumée

    je m'efface et jusqu'aux dernières traces

     

     

    Poèmes retrouvés (1918 – 1981)

    Editions Gallimard, (Lachenal et Ritter), 1982

     


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  • Paol Keineg

     

     

     

    Il pleut sur les coqs de bruyère

    Il pleut sur les constellations de bouleaux blancs

    Il pleut sur les charrues matinales barbouillées de terre glaise

    Il pleut sur le pain chaud au sortir des fours visités d'un gros feu tranquille

    Il pleut sur le poitrail des chevaux rubiconds

    Il pleut à verse sur la pelouse des toits lacustres baignés de merles et de bouvreuils

    Il pleut sur les femmes obstinées à emplir les églises par l'entonnoir des porches

    Il pleut sur les planchers d'aiguilles de sapin sur l'escalier des mousses remuées

    de salamandres

    Il pleut sur le lac tranquille des âmes simples

    Il pleut sur les hommes lourds et muets

    Je m'éveille

    Et je m'assois sur les talus limpides

    Et je m'installe sur la fesse des montagnes de laine

    Et je compte

    Et je compte

    Las de l'exil

    J'approche de la table, le banc

    Et à la clarté des couteaux

    Je laisse plonger en moi les racines du pain

    Plus loin que les matins de globules rouges

    Plus loin que le sang caillé des bruyères où rament les éperviers

    Plus loin que les lièvres blancs et gris et que les cheminées qui reprennent haleine

    Plus loin que les courts matins d'hiver qui voient passer dans l'œil des enfants la caresse

    des étangs sauvages

    Plus loin que les chevaux qui hennissent rouge au cœur des patries effilochées

    Plus loin que la végétation des colères inextricables qui lancent leurs lianes parmi

    les hommes en démolition

    Plus loin que les migraines veloutées qui grattent et qui mordent

    Plus loin que les aurores boréales brûlées de banquises à la rencontre des pays de rosée

    Plus loin que les destins limés à ras de rotule

    Plus loin que la braise flambante de l'œil

    LE SILENCE

    Le champ clos du silence

    La fermentation du silence

    Qui butte contre les vitres

    Hommes je vous parle d'un temps qui nous appartenait plus

    Mais d'un temps artésien qui sourd au moindre coup de pioche

    Je vous parle du temps où l'on bâtissait les forêts

    Du temps où chaque fleur recevait des hommes le sel du langage

    Du temps où cette terre était hantée d'un peuple solennel

    C'était du temps où l'homme était un frère pour l'homme

    Où les hommes se disaient bonjour du haut de leurs collines

    Où les hommes chaque matin saluaient le lait de la pluie

    J'ai compté

    La rose du ciel vert

    Les nasillements d'hirondelles à ras de cheminée

    Les impulsions d'aubes feuillues chez les hommes qui naissent à eux-mêmes

    La dépossession d'une patrie entière  

    Et au bout de l'océan

    Les cocons de nuit

    La course droite des sangliers

    La plainte des moissons moisies tramées d'insectes vidés

    Au bout de l'océan

    Les campagnes fugueuses et les villages en quinconce débordant du fatras des moissons

    Au bout de l'océan

    Le poil humide des chevaux de cristal

    Le corail des lavoirs et des sources

    Les chiens roux lisses de sommeil

    Au bout de l'océan

    La machine des bocages explosifs

    Les gradins de l'aurore parmi les arbres craquants

    Au bout de l'océan

    Le rire des sauterelles

    Le maquis des congres et des lamproies

    La connaissance ininterrompue de la mort

    Au bout de l'océan

    L'établissement des hommes lucides

    Inventant une patrie délibérée

    Dressant sur les promontoires des villes de pierre des animaux de chair

    Au bout de l'océan

    Les reflets battus d'oiseaux rares

    Le sifflement de la vapeur dans les poumons et les poignets tendus

    Au bout de l'océan

    La confusion des paroles et des gestes

    La Visitation d'étranges bêtes brûlantes agitées de soubresauts

    La Visitation massive de boules de feu

    JE TE CRIE PAYS

    Pour tes éblouissements d'yeux dardés

    Pour tes contrebandes de chaleurs farouches

    Tes généalogies engluées

    Tes granits poreux et glacés

    Je te crie pays

    Pour tes fouillis de luzerne à fleur de peau

    Tes pur-sang purulents qui verdoient de sulfure

    Tes murs d'écurie écrasés par le coups de pied des chevaux

    Pour vous tous qui êtes moi

    Ou plus encore

    Vous tous qui êtes plus que moi

    Et je vous entends tourbillonner dans la dérive des silences giclés

    ET JE CRIE

    Suicides mauves

    Derrière les persiennes clauses

    Enfants rachitiques que l'on repousse du bout du pied

    Hommes qui traversez la vie comme on traverse un long tuyau humide

    Paysans coagulés tronc à tronc conduisant de la voix les ruées des troupeaux

    Soleils que l'on dirige à bout portant contre le cœur des chevaux

    J'ai vu mourir dans la nuit blonde

    Les enfants couleur de nacre et les filles brunes surgies du lait

    J'ai vu tomber par touffes l'ardoise des toits inertes

    J'ai vu proliférer les marécages aux lèvres des collines

    Il faisait un temps de flammes vertes

    Un temps de poussière d'acier

    Un temps d'yeux germés

    Et j'ai vu sous les portières du Ponant

    S'effriter les enfants pâles et dilatés

    Lourds héritages de fatigue

    D'espoirs séquestrés

    De forêts en gestation

    Chroniques blettes de chanteurs vibrant dans la lumière des branches

    Pays de paille grise

    Pays d'humidité redoublant de violence

    Pays d'attente et d'éboulis

    Je contemple ce pays bâti de côtes et de criques

    Cerné de climats douceâtres

    Traqué de tourbes révolues

    Outrepassé de tumeurs pâles et de pustules

    Où il n'y a pas de place pour le paysan seigneur des terres immobiles

    Pour le prolétaire en usine combattant les négoces et les engrenages féroces

    Soudain nous prend en route

    Le mal taillé en coin

    Le mal qui vrille et qui taraude

    Le mal qui fore et qui perfore

    Le mal qui force chaque pore

    Le mal mèche de tarière

    Le mal douleur de vilebrequin

    LE MAL DU PAYS NATAL

    Mes frères, mes frères

    Hommes brûlants plantés d'épines

    Hommes tranchants à l'écoute des séismographes

    Hommes de mon pays et d'ailleurs

    Buvez aux geysers de l'humanité

    Appareillez pour de grands hommes lourds de justice

    Rassemblez vos propos acérés depuis la pulsation des estuaires

    Jusqu'aux profondeurs de l'étable

    Hommes simples assis dans votre étable fermée

    Hommes empêtrés de tabous et d'interdits

    Je vous entends pourtant crépiter dans les flammes dévorantes de l'esprit

    Hommes liges des talus en transe et des villages abandonnés

    Hommes brodés urinant le long des fossés

    Hommes de vieilles candeurs célébrant des divinités aux joues roses et fanées

    Et vous aussi, hommes des villes collectionneurs de meubles et d'ustensiles

    Hommes émaciés pourrissant sur la muqueuse des villes étrangères

    Vous partagez nos démangeaisons de liberté

    Hommes puissants disputant la sérénité de l'orgue et des esplanades

    Hommes croustillants héritiers de toutes lèpres et de toutes famines

    Hommes trop humiliés les poings fermés de fureur

    Terrés dans le tanin de vos chairs meurtries

    Il n'y a pas de passé en Bretagne

    Seulement un imperceptible mouvement des lèvres

    Au détour de petites phrases anodines et friables

    Seulement un présent de grossières en justice

    Un avenir barré de violence et de poussière

    Il n'y a pas de passé en mon pays

    Sinon un bourdonnement d'hommes réfractaires

    Je revois les genêts sur l'urine sèche

    Les manoirs de quartz entourés de haies

    Mais je ne peux m'asseoir longtemps dans l'herbe

    Les déportations massives continuent

    Nous avons chaud à nos fleuves

    Nous avons chaud à nos relents d'alcool

    Nous sommes un peuple hauts fourneaux

    Un peuple coulé d'aubépine

    Nous ne capitulons pas

    Je m'arrête près des herses et des rouleaux

    Je mâche mes premières pousses de liberté

    J'ouvre l'éventail des champs labourés

    Et notre peuple accompli soudain des révolutions étincelantes à la face du monde

    Un peuple vaincu s'exerce au maniement des marées montantes

    Je les vois qui s'assemblent tous sur les places

    Bûcherons de l'aube arrimés aux cotres du soleil

    Défricheurs herbus et ruminants jetant les grappins dans un passé interdit

    Ecoliers ternes et appliqués établissant soudain des relations de cause à effet

    Ouvriers analogues s'éveillant avec lenteur au creux des faubourgs crispés

    Grappes de femmes lourdes enracinées dans la douleur des hommes

    Ouvriers en grève exigeant droit de regard et de pression sur les tubulures du pays

    Colleurs d'affiches, vendeurs de journaux, distributeurs de tracts, porteurs de pancartes

    Etudiants insolents et nerveux se dérobant avec véhémence

    Aux haleines fétides, aux visages craquelés

    Ecoliers rieurs éprouvant du pied le fragile équilibre de l'eau et du feu

    Syndicalistes vingt fois licenciés aux gestes robustes d'hommes mesurant l'éternité

    Paysans matraqués à bas de leur tracteur qui le soir sortent les livres précieux sur la table

    Vous êtes la Bretagne qui vient au feu

    Vous êtes la Bretagne qui s'ouvre aux vents du monde

    Aujourd'hui je vous le dis

    Nous allons procéder à des glissements de terrain

    Il y aura des sursauts de lumière dans le brouillard des solitudes

    Et l'angle des fenêtres écumera de fougères

    Alors, nous nous installerons dans l'odeur des charpentes et le soulèvement des toitures

    Pour des émeutes de tendresse

    Aujourd'hui je vous le dis

    Un peuple nouveau émerge lentement qui se ménage des moissons exemplaires

    Un peuple nouveau se dégage des siècles gluants

    Ce pays chloroformé

    Ce pays bruissant d'espoirs clandestins

    Rouvre les yeux sur les banlieues surmarines

    Que naissent en moi les pluies câlines

    Pour humecter les campagnes polychromes

    Que saignent les fougères fripées pour le plaisir des hommes qui tâtonnent

    Qu'éclatent les bouches captives de mon peuple enfanteur d'hirondelles

    Que se redressent les maisons arrachées à la matrice des frondaisons liquides

    Que s'éveille mon peuple aux quatre coins du monde matinal

     

    Hommes liges des talus en transe

    P.J. Oswald, 1969

     


    2 commentaires
  • l'oeil & la plume... comme s'agitent les seaux au fond d'un puits (fragment)

    texte de werner lambersy                                                                    photo X

     

     

    Les hommes se dévoreront

    comme des insectes

     

    croiront

    dans l’ordre l’argent et dieu

     

    la nature

    indifférente suivra le ruban

    du piano mécanique

    du temps

     

    le silex de l’univers lancera

    ses étincelles froides

     

     


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  • l'oeil & la plume.... "cherche, cherche !"

    texte cathy garcia                                                            photo dimitri markov

     

     

    Nous adultes avortés
    faisons de l’art comme on cherche la surface.
    De l’art ou bien autre chose
    pour ne pas se noyer
    mais tout se résume à

     

    « cherche cherche ! »

     

    avec la ferveur des chiens
    la dévotion des chiennes…
    un peu de leur brute chaleur

     

    in Salines

     


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