• l'oeil & la plume...

    texte & phot André Laude

     

    Arrache-moi doucement à l'enveloppe de chair

    qui m'opprime me tourmente et m'étrangle

    Arrache-moi doucement à la griffe de la douleur

    Q'un moment je sois tout entier un homme

     

    Conduis-moi au pays qui n'existe

    que lorsque tes doigts brûlent

    Et que tes cheveux répandent dans la chambre

    Une odeur de terre d'aube et de terre mouillée

     

    Ne parle pas l'Amour est un long silence

    Habité par un verbe tout-puissant

    qui sourd des feuilles et des eaux

    Et des deux corps qui se fondent ensemble

     

    Arrache-moi doucement aux masques de la mort

    Aux gargouilles de l'ennui qui ricanent dans le sommeil

    Achève en moi enfin la créature qu'un dieu pâle a modelée

    D'un peu de salive d'argile et d'imagination

     

    Par le jeu savant des caresses et des baisers

    Jette-moi en pâture aux lions du vertige

    que plus rien ne demeure de l'ancienne fable

    où j'errais comme un fantôme de fumée et de brume

     

    oublie la terrible royauté des objets quotidiens

    les chaînes de la morale nous serons libres

    Voguant comme deux navires de haut bord

    qui s'abîment avec lenteur sur les rivages du Soleil.

     

    in Entre le vide et l'illumination

     

     


    votre commentaire
  • texte & photo Alexandra Petrova

     

     

    La croix verte d'une pharmacie.
    Une femme fume près d'un lampadaire.
    Elle arrange sa coiffure.
    Elle s'examine dans une vitrine :

    c'est d'un cancer de la gorge
    c'est d'une MST,
    ou bien, c'est de soi-même.
    Ne pas penser, surtout aux efforts secondaires :
    l'amour, la distance, la mort.
    Au fleuve, qui s'échappe, pour menacer les digues.

    Les lumières d'un tramway
    traversent ses pensées.
    Là-bas, sur l'une des places, danse un fakir au teint sombre.

    Les lumières disparaissent, et on constate à nouveau
    Qu'à Rome il fait mauvais.
    Personne dans la rue.
    L'ange, clochard sans chaussettes,
    Gèle éternellement au sommet du Château.
    Triomphateur de la peste,
    gardien de but aux pieds nus,
    il y a malheurs pires.
    Tu as une épée de fer
    et une aile,
    moi, je réduis les voyelles étrangères,
    elles pointent dans la prière comme des os, comme des pieux,
    attends-moi au coin,
    nous allons nous partager cette nuit.
    pourtant, voici une fenêtre où brille un semblant de lumière.
    La femme appuie sur « Enregistrer »,
    mais la lumière s'échappe et disparaît.

    Seule la braise incandescente de la cigarette
    lui rappelle, perdant son éclat,
    l'événement qui s'est produit voici une seconde,
    puis tout retombe dans l'obscurité.

     

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume...  il n'y a pas de vie intérieure

    texte Werner Lambersy                                                                        ill. jlmi

     

    Il n’y a pas de vie Intérieure

    Tout est dedans et dehors

     

    Les synapses

    Et l’esprit font bon ménage

    A trois avec

    L’univers qui nous entoure !

     

    Celui-ci dort en se balançant

    Comme un juif devant le mur

     

    Celle-là quand elle est nue se

    Tient les seins et lui son sexe

     

    Celui que j’ai vu sur son lit de

    Mort n’avait pas de chaussure

     

    Et moi pour n’appeler pas les

    Parques je croise les chevilles

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume...  Pound à Spolète

    texte & photo  Lawrence Ferlinghetti

     

    J'entrai dans la loge du Teatro Melisso, superbe salle Renaissance où avaient lieu les lectures de poésie et les concerts de musique de chambre chaque jour du festival de Spolète et tout à coup je vis Ezra Pound pour la première fois, aussi immobile qu'une statue de mandarin dans son écrin, à un balcon du fond du théâtre, une rangée au-dessus du parterre. Ce fut un choc que de voir ce mince et surprenant vieillard de 80 ans affectant une pose curieuse, avec ses cheveux longs, son profil d'aigle, sa tête étrangement inclinée sur le côté, abîmé dans une permanente songerie… Le programme indiquait qu'il devait lire à la suite de trois jeunes poètes depuis sa loge où il attendait assis en compagnie d'une vieille amie (laquelle lui tenait ses feuilles). Il contemplait les articulations de ses doigts de la main, les pliant légèrement, plongé dans son mutisme. Il y eut un moment et un seul où, comme l'assistance tout entière applaudissait quelqu'un qui venait de se produire, il sortit de sa torpeur pour applaudir lui aussi, sans lever les yeux, comme stimulé par un son venant du vide… Au bout d'une heure ou presque — au bout de toute une vie — vint son tour. … Tous les spectateurs se levèrent et se tournèrent en direction de Pound dans sa loge, pour l'applaudir. Les applaudissements se prolongeant, Pound essaya de se lever de son fauteuil. Un micro était à sa portée. Agrippant les bras du fauteuil de ses mains osseuses, il fit l'effort de se lever. Il échoua puis, essayant une seconde fois, échoua encore. Sa vieille amie ne lui vint pas en aide. Enfin elle lui plaça un poème entre les mains et, après une bonne minute, la voix retentit. D'abord la mâchoire bougea, puis la voix sortit, inaudible. Un jeune italien lui mit le micro très près du visage et l'y maintint cependant que retentissait la voix, frêle mais ferme, plus haut perchée que je ne m'y attendais, mince filet monotone et doux. La salle s'était tue d'un coup. La voix me terrassa avec sa douceur, sa fragilité, sa détermination. Appuyant les bras sur le rebord en velours du balcon, j'y posai la tête. À ma grande surprise, une larme coula sur mes genoux. L'indomptable filet de voix continuait. À tâtons, je quittai la loge par la porte du fond et gagnai le couloir désert du théâtre, laissant l'assistance toujours tournée vers lui. Je descendis et sortis dans la lumière du soleil, en pleurs…

     

         Tout au-dessus de la ville

                             près du vieil aqueduc

                les marronniers

                     étaient encore en fleurs

            Des oiseaux muets

                     passaient dans la vallée

                                            au loin en bas

                  Le soleil brillait

                                  sur les marronniers

              et les feuilles

                      tournaient au soleil

         tournaient tournaient tournaient sans cesse

                   Sans jamais devoir s'arrêter

         Sa voix

               continuait

                     continuait toujours

                             au milieu des feuilles….

     

     

       in Inuits dans la jungle - Numéro 2

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume...  les limes

    texte & photo Volker Braun

     

     

    Il y avait bien là un mur pour 17 millions

    Il était solide et presque

    Infranchissable. Une sinistre

    Affaire qui fonctionnait. Si sévèrement

    Gardée, incidents sanglants

    On a pu les chiffrer. Renseignez-vous

    Sur cette construction qui pointait vers l'avenir

    Et nous accable

    Par son simplisme. Elle fait encore jaser

    Les peuples sédentaires.

    Dans leurs cosses, les Écossais ! Les Allemands, les Français !

    Trop vite abattu

    Il fut la bévue

    D'un siècle inconscient

    D'une confiance sans limite

    dans le vivre ensemble. Comme si

    Nous faisions face au néant, pareils

    À la Rome éternelle !

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique