-
Par jlmi le 11 Octobre 2022 à 00:57
texte Violette Leduc photo jlmi c.2010
Dans ce cimetière on trouvait de tout : de l'abandon, de la grâce, du désordre, un tapis de mauvaise herbe qui ouatinait l'allée et les tombes, des arbustes desséchés, des pissenlits, des fleurs de pissenlit.
L'été un rempart d'ombelles fleurissait le long du mur. Par temps maussade, les fleurs posées sur des échasses s'inclinaient avec condescendance sur les vieilles croix qui tombait de traviole sur la terre…
…/…
Au mois de mars les primevères pastellisaient les tombes. En juin, on fanait l'herbe du cimetière. On ne savait pas quels bestiaux se nourrissaient avec.
…/…
La mauvaise herbe régnait. Elle étouffait le rosier, le géranium en pot. Elle ne s'occupait pas du myosotis qui était l'ombre de lui-même… Les grilles et les croix tentaient de défendre les tombes, mais les grandes herbes vivaces montaient et se coulaient dans les arabesques en fer forgé. Les grandes herbes étranglaient aussi le respect et la tristesse. Ce cimetière douillet ne se prenait pas au sérieux.
in l'Asphyxie ed Gallimard 1946
votre commentaire -
Par jlmi le 10 Octobre 2022 à 00:30
J’tais môme encore.
J’habitais dans le Marais,
un vieil immeuble bâtit sous Louis XIII.
L’hôtel de Fieubet, hôtel particulier en somme, mais à l’époque.
Plan carré, grande cour intérieure, grand escalier avec anneaux pour attacher les chevaux au premier étage, des escaliers de service à chaque angle, toutes les pièces en enfilade…
Depuis… passé dans de nombreuses mains,
il était devenu propriété de la paroisse.
Au rez-de-chaussée,
de grandes salles qui abritaient les activités d’un patronages pour garçons et le caté, animés par l’abbé J.
Il avait eu l’idée d’installer dans une des salles la première télé que nous ayons pu voir, pour meubler les fins d’après-midi de jeudi et de dimanche : Zorro non colorisé, Rintintin…des rêves à la pelle
Par sa volonté la cour de Fieubet était devenue terrain de basket après l’abattage du grand arbre central…
Habitaient là
des prêtres,(dont lui bien sûr)
des enseignants cathos des écoles libres voisines
des gens à la peine aux lendemains de guerre,
aidés par la paroisse ;
ma mère en était…
[ un transfert depuis sa loge de la rue Saint Paul
trop petite avec mon arrivée dans la course ]
et deux artisans, une grande partie du premier étage leur était louée
un réparateur de hauts parleurs – monsieur Wagner, un obèse avec une 4cv… -
et un ébéniste – monsieur Jean ! austère, toujours.
Mouron, son nom de famille. Il devait s’en faire sans doute !
[hummm ! l’odeur de la colle d’os dans l’escalier…
bon sang, une merveille
juste avant d’aborder le troisième
et la succulence des odeurs de cuisine de ma mère ]
Pour entretenir l’immeuble, sortir les poubelles, une concierge.
Et c’est là – seulement – que l’histoire commence.
Désolé.
Mais fallait un peu planter le décor. Enfin je crois !
La concierge c’était le nom générique pour désigner la famille qui habitait la Loge.
Deux pièces vraies et des « placards ». Le minimum vitale.
La pièce sur la rue, très haute de plafond avec grande fenêtre était la salle à manger
et la pièce sur la cour – un mètre quatre-vingt sous plafond avec lucarne - était la chambre à coucher. Ils s’y entassaient à cinq.
Le père, France la mère – alouette venue se faire plumer à Paris - et leurs trois mouflets. Faut dire que l’père, Francis,
grand, gros, con,
- c’est sans lien mais c’est factuel -
le QI d’un pois chiche
et la boutanche !
A mort sur la boutanche.
Tous les jours torché,
il rentrait en poussant son vieux vélo vert.
Il aurait pas pu tenir dessus, ça, non.
Et la sarabande commençait : cris, claques, hurlements, pleurs, suppliques, tout.
Y’avait bien des interventions extérieures pour tenter de calmer l’jeu, mais
y’a que quand il s’écroulait sur son grabat que le calme revenait.
Elle, on la voyait souvent avec des couleurs bizarres sur la peau, c’est sûr.
Mais elle riait avec nous les mômes de la cour, même quand on était chiant avec nos ballons d’basket… Grand Courlis elle m’appelait ? Ça me plaisait bien
Et puis un jour,
entre son dernier bistrot et la loge,
il s’est cassé la gueule dans l’caniveau l’Francis,
il avait voulu rentrer sur son vélo… et il s’est pas relevé…
Un soulagement comme qui dirait, faut être honnête.
Alors la France il a bien fallu qu’elle se bagarre
rapport à son salaire de femme de service à l’école laïque
et ses trois chiards…
un sacré bout de temps, la bagarre.
Chapeau.
Alors la paroisse lui a proposée dans l’immeuble
la moitié de l’appart’ d’un abbé qui venait d’être muté curé en banlieue,
mais ça grâce à son remplaçant, un ancien prêtre ouvrier réemparoissé d'autorité,
qui ne voulait pas une aussi grande carrée pour lui tout seul.
Alors ils avaient fait moit-moit, il n’y avait eu qu’une porte à verrouiller
Au deuxième étage donc, dans le même escalier que nous…
La vie d’château comme qui dirait pour elle.
Et ses mômes avaient grandi.
L’aîné branlait rien, un peu dealer, un peu voyou… un soir un surdosage et hop !
La seconde est tombée sur un maq’, donc trottoir et au r’voir !
La dernière ça a été mieux. Elle avait tiré un bon mec, normal quoi… une vie pas facile mais bon.
Du coup la France qui portait quasi les quarante balais
elle s’est mise en ménage
– ce terme à l’époque… tout un plein baquet de préjugés -
et des préjugés, y’en a eu d’autres,
pensez, son mec, Jean-Turenne, il était black !!!
et à l’époque les couples mixtes c’était l’exception pour dire,
toujours dénoncée du doigt…
[ les dames patronnesses du boulevard haussmannien voisin
– ma frangine les appelait les ‘’défenses-d’aimer’’ -
toutes pleines bouches de leur charité chrétienne
et bien elles fulminaient, pensez ,
« Quel exemple pour les enfants du catéchisme ! » ]
Sympa l’Jean-Turenne, gentil avec elle et tout et tout.
L’anti-Francis quoi.
Il bossait. Egoutier à la ville de Paris qu’il était,
à la base de la rue Neuve saint Pierre,
juste devant l’école où elle travaillait…
y’a pas de hasard !
Et puis la nature étant ce qu’elle est…
pouff enceinte la France.
Là, c’était trop sans doute…
Un matin, les pompiers l’ont emmenée toute raide, brûlante de fièvre, à l’hosto.
Elle est morte là-bas deux jours après.
Tétanos
Mais c’était avant qu’Simone…
extrait des Preuves incertaines éditions Nouveaux Délits
3 commentaires -
Par jlmi le 9 Octobre 2022 à 00:25
texte de cathy garcia ill. pouch
Scopello ( septembre 1997)
Après Palerme, sa splendeur déchue, ses ruines intactes depuis des lustres, ses quartiers populaires bruyants, le plaisir de jouer dans ses rues pleines de vie et de chaleur, voici Scopello. Éblouissant hameau juché sur un promontoire dominant la mer, à l’entrée d’une vaste réserve naturelle. Je suis assise au bord de l’eau, sur une marche de pierre, adossée à une grille ancienne. C’est l’entrée d'un hangar à bateau, vieilles pierres, voûte, pénombre et fraîcheur. Accrochés à la falaise, les vestiges d’une tour de guet veillent sur des figuiers, des figuiers de Barbarie et des arbustes couverts de fleurs d’un mauve éclatant. Face à moi, la grande bleue. Eau transparente et l’ocre des rochers. Une aquarelle de montagnes noyées de brume à l'horizon. Calme, sérénité. Invitation à se laisser bercer par la douceur de vivre. Une provision d'images pour l'hiver. Petit coin de paradis pour déposer les armes et comme tout bon paradis doit avoir son serpent, je n’ai pas manqué de sursauter quand le tentateur des lieux s’est faufilé sur le côté de la route qui remonte au village : diablement noir et diablement long !
Deux jours riches de baignades, galets précieux plein les poches. Comme il serait bon de rester ici à jouer les sirènes, dormir, rêvasser, compter les geckos sur les murs, savourer les pâtes au pesto, les olives délicieuses, le poisson, les figues, toute la cuisine du soleil. Méditerranée... Je n'oublie pas la mer qui m'a vu naître. Il y a des lieux, des façades blanches, des murs épais, des odeurs de sel et de friture, des courants d'air à l’heure de la sieste, qui me parlent de ma grand-mère paternelle. J'aime retrouver de quoi je suis faite. Panser un peu les coupures… C'est elle qui sourit dans les yeux de ces vieilles femmes du sud, espagnoles mais aussi italiennes, siciliennes, portugaises... Ces aïeules vêtues de noir, ridées comme de vieilles prunes, assises sur le pas de leur porte, à la fois graves et chaleureuses. Grandes mères éternelles, même si la vie les a courbées, le feu qui couve dans leur regard ne faiblit jamais.
in les calepins Voyageurs et après ? ou La vie d’artiste Journal intime en tournée
2 commentaires -
Par jlmi le 8 Octobre 2022 à 00:51
texte Lolidol ill. Ana Minski
Je me levai ce matin-là, nostalgique. Voilà 25 ans que j'exerçais mon métier. J'étais jardinier et j'adorais mon travail. J'entretenais les plantes avec amour, je leur parlais, leur racontais ma vie, il m'arrivait même de leur chanter des chansons. Je me sentais vraiment bien quand j'étais en leur compagnie. Arroser, désherber, récolter, c'était ma passion.
Je travaillais au Jardin National des Livres. C'était une grande étendue verte, remplie de compactus dans lesquels poussaient tous les livres du pays. Chaque secteur du jardin représentait une catégorie de livres. Il y avait une récolte par année. Les compactus germaient au printemps puis fleurissaient en été et au début de l'automne, ils donnaient leurs fruits : les livres. Le jardin étant à ciel ouvert, les magnifiques compactus pouvaient profiter du bon air plein de pensées, de connaissances et d'imagination qui circulait. Seulement voilà. Cela faisait maintenant plusieurs années que le jardin donnait de moins en moins de livres. La qualité laissant à désirer de plus en plus. Au début, je pensais que c'était de ma faute, que je ne m'en occupais plus assez bien alors je me donnais davantage de peine, mais chaque année, il y en avait moins, malgré mes efforts et le cœur que j'y mettais.
J'arrivai donc au travail, la période de la récolte approchait. Je me dirigeai au début de l'indexation pour commencer l'entretien du jardin en voyant avec horreur que cette année serait catastrophique. Je décidai alors de m'asseoir un instant pour réfléchir à la cause de cette baisse de productivité. C'est alors que je sentais une brise me parcourir le visage que je compris.
Les composants de l'air indispensables aux compactus ne devaient certainement plus etre à la hauteur. Mais que se passait-il donc ? Les gens du monde entier par leurs pensées, leur richesse d'esprit apportaient tout ce dont les livres avaient besoin pour pousser. Y avait-il une régression de la culture ? Sans aucun doute ! Il n'y avait aucune autre raison possible. Hélas, je ne pouvais pas faire de miracle. Je ne pourrais peut-être pas sauver la culture de livres, mais j'avais la possibilité de faire quelque chose. Apporter aux compactus un peu plus d'engrais naturel nécessaire à leur développement. Je pris donc soin du jardin comme chaque jour, puis, en partant, je décidai d'aller à la bibliothèque. J'empruntai une dizaine de livres de toute sorte et rentrai chez moi. Je devrais à partir de maintenant en lire tout le temps, dès que j'aurais du temps libre. Je pourrais partager mes connaissances avec mes compactus. Peut-être que ça ne changerait rien, mais je devais essayer, ça ne me couterait rien.
Trois semaines passèrent, j'avais déjà appris une multitude de choses sur beaucoup de sujets. Je parlais aux plantes de tout ce que je savais. Un matin, je commençai à récolter les livres. Ils étaient fins et ne respiraient pas l'intelligence. Avec un peu d'espoir, je me dis que je n'en étais qu'au début. Mais quand à la fin de la journée, j'eus parcouru toute la catégorie des romans, je pus aisément me dire que les gens manquaient cruellement d'imagination. Le lendemain, je me mis à récolter les livres scientifiques. Ils avaient meilleure allure. J'en ouvris un pour lire un peu et examiner. Je tombai sur la plus aberrante affirmation de ma vie ! Je refermai le livre rapidement en me disant que l'heure était grave. Je devais continuer à lire et à me cultiver, à développer mon imagination et ma créativité. C'était important et même vital pour ces pauvres compactus qui ne donnaient plus que des livres de piètre qualité et en quantité insuffisante. C'était comme si les gens ne lisaient plus et ne s'intéressaient plus à rien.
Une année plus tard, j'avais lu des centaines de livres, je m'étais étonné moi-même de tout ce que je savais à présent. Mais j'avais bien peur que tout cela n'ait servi à personne d'autre qu'à moi- meme. Je continuais de m'occuper du jardin, avec amour, mais c'était comme si les compactus n'allaient plus rien faire pousser, ils avaient mauvaise mine. Sauf un qui avait une petite partie qui allait à merveille, comme s'il préparait un livre d'exception. Cette année, il avait une forme particulière, ses feuilles prenaient une couleur légèrement argentée, c'était étrange. Mais au moins, on aurait un bon livre, c'était mon seul réconfort.
Un matin de récolte, je parcourais justement le compactus qui contenait ce petit compartiment qui promettait un livre incroyable quand j'arrivai devant le fruit qui avait poussé. J'écarquillai les yeux, je n'en revenais pas ! C'était impossible ! Et pourtant... J'avais devant moi une chose qui dépassait tout ce que j'aurais pu imaginer. Comme si l'inculture et le manque d'esprit et d'imagination avait donné naissance à une nouvelle espèce. Voilà qu'avait poussé, cette année, pour la première fois, une sorte de tablette, comme un écran. Je la regardai sous toutes ses formes, une pomme était dessinée au dos.
paru in Behigorri - n°4 - septembre 2022
votre commentaire -
Par jlmi le 7 Octobre 2022 à 00:33
in « Les vieux de la vieille » de Gilles Grangier…
Coudes sur le zinc
bavardages de couillons
- Clafoutis maison
Raphaëlle Gassion
Alzheimer -
dans ses mains
la mémoire d'un bricoleur
Sylvie Jézéquel
Mangeant à même la casserole
s'y reflètent les lumières
dans la nuit
Éric Bernicot
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique