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texte & photo Anjse Koltz
La poésie veut quelque chose d'énorme
de barbare et de sauvage
Diderot
Tous les endroits que je visite
existent dans ma mémoire
J'y retourne depuis toujours
Comme mes ancêtre
j'y cherche l'eau au puits
une cruche sur la tête
Je suis juive avec eux
Leurs souffrances
s'inscrivent dans mon sang
et coagulent
Sur le bord de ma fenêtre
leurs cendres se posent
aujourd'hui encore
Chaque nuit j'étouffe sous les tonnes
de leurs cheveux rasés
—
Je suis palestinienne avec eux
Leur douleur
s'est plantée dans ma poitrine
Dans mes artères
s'accumulent leurs pierres
autre mur
de lamentation
Lave tes pieds
et quitte ta maison
pour rencontrer l'univers
—
L'immensité de la mer
me traverse
Elle déborde
de mes souliers
—
Lorsque la mer vocifère
comme un vieux curé de campagne
J'enfouis mes péchés
dans les coquillages
que nul ne comptera
Ton poème est à double sens
Celui qui lit — est lu lui-même
par le poème
—
Jamais
je ne serai maître
Je resterai ouvrier
J'écris comme un esclave
pour acquérir ma liberté
Je ne trace pas de cercle
je le franchis —
Je veux des mots
comme des éperviers
volant
fonçant
ivres de soleil
sanguinaires
sans pardon
—
Béni soit le serpent
qui m'apprit la désobéissance
Je me purifie
je ne prie plus
J'allume le feu de mon enfer
et je chante
Je joue avec ma mort
pour la fatiguer
pour l'endormir
comme j'endors Dieu
afin que je vive
sans leur tutelle
—
Le Christ dit :
Celui qui boira mon sang
et mangera ma chair
sera sauvé
Lucifer abhorrant la viande crue
alluma un feu pour la cuire
Chaque soir
Dieu vient boire
au bord de l'étang
avec le gibier
en attendant
de Se faire abattre
in Somnambule du jour - Poèmes choisis
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texte & phot André Laude
Arrache-moi doucement à l'enveloppe de chair
qui m'opprime me tourmente et m'étrangle
Arrache-moi doucement à la griffe de la douleur
Q'un moment je sois tout entier un homme
Conduis-moi au pays qui n'existe
que lorsque tes doigts brûlent
Et que tes cheveux répandent dans la chambre
Une odeur de terre d'aube et de terre mouillée
Ne parle pas l'Amour est un long silence
Habité par un verbe tout-puissant
qui sourd des feuilles et des eaux
Et des deux corps qui se fondent ensemble
Arrache-moi doucement aux masques de la mort
Aux gargouilles de l'ennui qui ricanent dans le sommeil
Achève en moi enfin la créature qu'un dieu pâle a modelée
D'un peu de salive d'argile et d'imagination
Par le jeu savant des caresses et des baisers
Jette-moi en pâture aux lions du vertige
que plus rien ne demeure de l'ancienne fable
où j'errais comme un fantôme de fumée et de brume
oublie la terrible royauté des objets quotidiens
les chaînes de la morale nous serons libres
Voguant comme deux navires de haut bord
qui s'abîment avec lenteur sur les rivages du Soleil.
in Entre le vide et l'illumination
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texte Boris Vian
À tous les enfants qui sont partis le sac au dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument
À tous les enfants qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton, ni
de bronze qui devient vert sous la morsure
aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé, plein de
rires, plein d’oiseaux bleus, soudain
griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où
sur un corps qui va tomber grandit une tache
de sang
Mais à tous ceux qui sont restés les pieds
au chaud, sous leur bureau en calculant
le rendement de la guerre qu’ils ont voulue
À tous les gars, tous les cocus qui
ventripotent dans la vie et
comptent et comptent leurs écus
À tous ceux-là je dresserai le monument
qui leur convient avec la schlague avec
le fouet, avec mes pieds, avec mes poings
Avec des mots qui colleront sur leurs
faux-plis, sur leurs bajoues, des marques
de honte et de boue
entre 1954 et 1959
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texte & photo Alexandra Petrova
La croix verte d'une pharmacie.
Une femme fume près d'un lampadaire.
Elle arrange sa coiffure.
Elle s'examine dans une vitrine :c'est d'un cancer de la gorge
c'est d'une MST,
ou bien, c'est de soi-même.
Ne pas penser, surtout aux efforts secondaires :
l'amour, la distance, la mort.
Au fleuve, qui s'échappe, pour menacer les digues.Les lumières d'un tramway
traversent ses pensées.
Là-bas, sur l'une des places, danse un fakir au teint sombre.Les lumières disparaissent, et on constate à nouveau
Qu'à Rome il fait mauvais.
Personne dans la rue.
L'ange, clochard sans chaussettes,
Gèle éternellement au sommet du Château.
Triomphateur de la peste,
gardien de but aux pieds nus,
il y a malheurs pires.
Tu as une épée de fer
et une aile,
moi, je réduis les voyelles étrangères,
elles pointent dans la prière comme des os, comme des pieux,
attends-moi au coin,
nous allons nous partager cette nuit.
pourtant, voici une fenêtre où brille un semblant de lumière.
La femme appuie sur « Enregistrer »,
mais la lumière s'échappe et disparaît.Seule la braise incandescente de la cigarette
lui rappelle, perdant son éclat,
l'événement qui s'est produit voici une seconde,
puis tout retombe dans l'obscurité.
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