-
texte Kodo Sawaki ill. jlmi d'après pur rien
Dans les temps anciens, il n’y avait ni lunettes pour regarder le ciel ni rayonX.
Rien de tout cela n’existait.
Il fallait donc, par soi-même, s’équiper d’yeux capables de bien voir
sans l’aide de télescopes ou de microscopes.
Alors un jour, pour la première fois, un œil perçut la réalité dans sa totalité.
Cet œil extraordinairement perçant se vit lui-même aussi bien que les autres.
Il pénétrait le bonheur et aussi le malheur,
et regardant toute chose en ce monde avec son œil prodigieux,
pour la première fois lui apparut un monde où il n’existait absolument rien.
votre commentaire -
texte Antonin Artaud ill. pur rien
Ne pas oublier
la gueule
de Lucifer
sous son maquillage
de père éternel,
ricanant à travers les barreaux.
1 commentaire -
texte jlmi photo du film
variation sur Vier Minuten, film de Chris Kraus.
Son regard hésite entre la haine et la peur.
Elle est épuisée, le souffle court, animal traqué, assise sur le clavier du piano de concert, au centre de la scène du Deutsche Oper.
Elle vient d’interpréter sa partition de Schumann mais elle l’a emplie de rage et d’amour en des improvisations échevelées, vannes de l’âme grandes ouvertes.
Quatre minutes d’émotion pure.
Une chape de silence tombe sur les dernières résonances d’un coup de poing rageur sur les graves. Le public est sonné par le flot de musique brute que Jenny vient de lui asséner, et reste pétrifié ; hésitant sur la réaction à avoir face à ce génial ovni.
Jenny, enfant prodige brisée par la vie depuis que son père a abusé d’elle à la fin d’un concert à New-York lorsqu’elle avait treize ans et que plus tard son compagnon a abandonné enceinte avec la responsabilité d’un crime abominable qu’elle n’a pas commis. Le système carcéral a parachevé cette descente aux enfers en refusant la césarienne qui aurait sauvé son enfant. Elle n’est que haine et indifférence au monde. « Capable de piquer les clopes d’une morte » disent entre-elles à voix basses ses co-détenues.
Elle s’est évadée de prison il y a deux, trois heures à peine, grâce à son maître de musique, Fraü Krüger ; une artiste aux rêves brisés il y a longtemps, la guerre…aujourd’hui bénévole sévère et froide tentant d’apporter « un peu de beau » dans cet univers sombre, car seul le Beau l’émeut, la soutient.
Une évasion juste pour participer à ce grand concours national des jeunes talents du Deutsche Oper dont Jenny occupe maintenant le centre de la scène.
Jenny attend. Le temps est lent.
L’ovation se déclenche, soudaine, jubilatoire, immense…
…Fraü Krüger sera au balcon.
Leurs regards se croiseront.
Elles se verront enfin
le maître la main sur les lèvres esquissera un geste de tendresse,
Jenny adoucira son masque puis,lente, plongera dans une ample révérence.
Une escouade de policiers surgira alors des coulisses pour maîtriser ‘’le fauve’’…
votre commentaire -
texte Werner Lambersy toile Gerhard Richter 1982
Je sais que je guette cela
Comme le bond formidable
De la baleine sur la vague
Je sais que j’attends de
Courir avec le tigre et la
La gazelle dans la savane
En flamme du signe tabou
Je sais que je redoute de
Croiser l’épouvante des
Enfants dans les canots
Pneumatiques des mots
Et je serre les lèvres sur le
Navire qui prend l’eau aux
Pieds de l’iceberg énorme
D’un poème dans la brume
votre commentaire -
texte Jean d'Amérique photo Cristina De Middel
Etre haïtien, c’est naître dans le sang,
grandir dans le sang
– ou souvent ne pas avoir le temps de grandir –
et finir dans une flaque de sang.
Etre haïtien, c’est attendre sa balle.
C’est attendre la balle qui vous dévorera le souffle,
où que vous soyez dans le pays.
Etre haïtien, c’est presser le pas vers l’au-delà.
Être haïtien, c’est pleurer, c’est crier.
Mais depuis le temps que ça saigne.
Mais depuis le temps que ça pleure.
Depuis le temps que ça crie…
Il faut croire que le sang ne suffit pas.
votre commentaire