•  COUV small.jpg

    Avril 2020

     

    Le miroir du virus

     

    Je voudrais d’abord vous remercier toutes et tous d’avance pour votre patience, je ne sais pas quand et comment je vais pouvoir expédier ce numéro, donc il existe, mais il pourrait mettre bien plus de temps pour vous rejoindre que d’habitude. Et puis, je voudrais aussi partager la réflexion que je me suis faite au début du confinement à propos de ce virus dont on ignore encore à quel point il va changer nos vies. Bien-sûr, j’ai pensé à toutes celles et ceux dont la situation est déjà au plus bas, à toutes celles et ceux qui usent toute leur énergie et leur courage pour aider, protéger, sauver les autres alors qu’eux-mêmes sont déjà en souffrance. La grande nouveauté de ce virus, c’est que cela nous a touché nous, les Occidentaux, habitués à ce que les grands malheurs de masse n’arrivent qu’aux autres masses — covid-19 n’est pas ebola — et en cela ce nouveau virus nous tend un miroir. Il met à nu les défaillances et toutes les profondes inégalités de nos sociétés et peut-être va t-il nous faire prendre enfin conscience de la folie de nos modes de vies si prédateurs pour l’environnement et le reste du monde, je ne pousse pas l’espoir à croire que les élites vont avoir elles aussi de véritables prises de conscience — il m’en faudrait pas beaucoup pour penser que tout cela en arrange certains — toujours est-il que ce virus nous tend un miroir dans lequel nous voyons ce que nous sommes en tant que collectif et dans lequel chacun d’entre nous va se voir tel qu’il est. Il nous oblige aussi à regarder nos proches, à nous interroger sur l’authenticité de nos liens, ou bien à regarder en face notre solitude et à nous poser cette question cruciale : sommes-nous de bons compagnons pour nous-mêmes ? Le virus, paradoxalement, nous relie de plus en plus les uns aux autres et nous montre par défaut notre interconnexion réelle en tant qu’êtres humains. Il nous tend un miroir et nous ne pourrons détourner les yeux. Un virus ne fait pas de différence entre nous, il est une forme du vivant qui nous traverse, certains l’hébergent sans souci, d’autres hélas succombent, mais avant de succomber au virus, une bonne partie meurent et mourront du manque de possibilités matérielles pour les sauver. Ce covid-19 est, ceci dit, à la fois une terrible épreuve et une formidable opportunité pour que l’humanité se regarde ensemble dans un seul et même miroir. Chacun d’entre nous saura combien coûte l’indifférence, l’avidité et l’égoïsme des pouvoirs qui sont censés nous représenter, mais aussi des uns et des autres aussi bien sur le plan individuel que collectif, car ce qui choque une bonne partie d’entre nous, au travers du comportement actuel de certain-e-s, n’est-ce pas au fond notre façon de vivre habituelle vis-à-vis du reste du monde, du vivant en général et des plus fragiles d’entre nous ?

    CG

     

     

    Je rêve que ce virus soit le point de butée où trébuche notre civilisation du déni permanent.
    Nicolas Mathieu

     

     

    003.jpg

     

    AU SOMMAIRE

     

    Délit de poésie : Christophe Salus

    Délit de drônes & de panoptikons : Philippe Labaune

    Délit de preuves incertaines : Jean-Louis Millet

    Délit d’aphorismes : Mix ô ma prose

    Délit rouge : Les invisibles de Nicolas Kurtovitch

     

    Résonances : El Ninõ de Hollywood de Óscar & Juan José Martínez (Salvador), Métailié, 2020 & Tout est provisoire même le titre de Mix ô ma prose, Cactus Inébranlable, 2019

     

    Délits d’(in)citations dans la boîte d’urgence aux coins des pages. Vous trouverez le bulletin de complicité, masqué et ganté comme il se doit, confiné en fin d’ouvrage.

     

    10.jpg 

     

    Illustrateur : Jean-Paul Gavard-Perret jpgp@live.fr

     

    Écrivain, dessinateur et critique d’art contemporain (24 heures, Lausanne, Huffington Post, Le Littéraire, Carnet d’art, Œil de la Photographie). Il a publié entre autres Généalogie vénitienne (Rafael de Surtis), L'œil du Cyclope (La Main Courante), Samuel Beckett : l’Imaginaire paradoxal ou la création absolue (Minard), La mariée était en rouge (Editions du Cygne), Labyrinthes (Editions Marie Delarbre, Grignan).

     

     

    002.jpg

     Partout où nous posons l’œil, nous rencontrons un savoir dense qui fait le cosmos. Nous seuls, les hommes, ne savons pas nous comporter et dédaignons de l’apprendre. Pourtant, certains jours, le corps que nous méprisons de façon si hautaine nous rappelle à l’ordre. Alors que nous flânons dans les vastes solitudes de notre inconnaissance, nous gaussant des coqs et des ânes, notre corps fait soudain appel à nous.

     Jean Bédard

    in Marguerite de Porète

     

    008.jpg

     

    Nouveaux Délits - Avril 2020 – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès -  Illustrateur : Jean-Paul Gavard-Perret - Correcteur : Élisée Bec

     

     


    votre commentaire
  •  

    l'oeil & la plume...   sous

    texte de cathy garcia                                                                   ill. jlmi 2020

     

    sous le soleil
    sous les néons
    sous les étoiles
    sous les ponts
    sous les cendres
    sous les larmes
    sous la lune figée
    sous le ciel cru
    sous les papiers
    sous la dentelle
    sous les sourires
    sous nos pieds
    sous nos balles
    sous les rasoirs
    sous les charniers
    sous le comptoir
    sous les billets
    sous les cartons
    sous les dossiers
    sous le sable
    sous la mer
    sous les bombes
    sous sous sous
    sous nos yeux

    l’indifférence

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume... si j'...

    texte & ill. jlmi

     

     

    Il était assis sur un banc du boulevard Richard Lenoir. A deux pas de la bouche de métro. Plein hiver. Peut-être moins trois moins quatre déjà. Cette nuit, ça allait donner avec le vent qu’il y avait… Pour éviter ce courant d’air, ses jambes devaient être repliées sous le banc car on ne voyait que son pardessus noir col relevé et ses cheveux noirs bien peignés. Ses mains étaient sans doute planquées au fond de ses poches. D’entre les pointes du col, à intervalles réguliers, sortait un petit nuage de buée. A côté de lui, un grand sac plastique de la fnac tout bosselé de son contenu.

     

    Je l’ai vu vers dix huit heures en sortant du boulot. J’allais prendre mon métro. J’ai pensé qu’il fallait que son rencart se magne pour qu’ils aillent se mettre au chaud vite fait. Des images de couple en train de prendre un pot dans un bistrot du coin puis enlacé en train de batifoler dans un bon plumard m’ont même traversé l’esprit. Ça m’a fait sourire. Sourire dans cette foule affolée, chose rare qui a la certitude de passer inaperçue. Dans cette meute individualiste forcenée il est tacitement convenu une fois pour toute de faire la gueule. Ça évite les conversations qui feraient perdre un temps précieux (sic). C’est comme ça. Métro, dodo… enfin ça vous connaissez.

    Comme d’hab’, le métro était bondé, il a fallu pousser sec pour entrer. Cette odeur bordel ! Une journée de sueurs, de sécrétions organiques, de macérations de fond de calbutes et de pieds dans des chaussures en synthétique et, point d'orgue, d’haleines nauséabondes que la mastication forcenée d’un chewing gum n’arrive pas à masquer. Et puis c’est pas là-dedans qu’on risquerait de prendre froid…

    De ma soirée, il n’y a rien à dire. Rien que du classique.

     

     

    Enfin si vous voulez savoir, avant d’aller au pieu, j’avais mis ça sur le papier, un truc fondé sur des chansons que la radio serinait en permanence et le mec en lardos noir sur son banc et la fille qu’il attendait, enfin un kaléïdo-téléscopage en quelque sorte. Si j’vous l’montre c’est bien parce que c’est vous

     

    « Cette nuit avait été de si grande attente.

     

    Cette nuit là,

    je marchai seul le long des rues. Soudain,

    elle était apparue à la fenêtre de sa salle de bain...

    J’avais attendu longtemps planté là sous l’abri bus.

    Elle était sortie de chez elle,

    m’avait tendu sa main : « Viens... »

     

    Cette nuit là,

    son sexe commençait à sauner

    lorsqu’elle se redressa

    et me dit :

    « C’est fini.

    Tout est bien.

    Désolée,

    je n’irai pas plus loin.

    Pars.

    Maintenant. »

    Elle se rhabillait.

    J’ai demandé :

    « Pourquoi ? Dis, pourquoi ? »

    Elle quitta la chambre sans rien ajouter.

    Je restai assis sur le lit.

    Pétrifié. Stone.

    Le monde est stone…

    Sur Radio Aligre,

    Cat Power venait d’attaquer

    ‘’Love & Communication’’.

     

    Cette nuit là,

    je pensais encore à elle

    en descendant sa rue ;

    là, le court voyage de l’amour mort,

    après un bref passage par la tendresse ,

    atteignit, rancœur subtile

    l’indifférence de l’habitude.

    C’était bien...

    Dans mon baladeur-ascenseur

    sur un thème de Sam Barber,

    Accentus

    prenait chorus.

     

    Maintenant je vis sur la mort.

    Où que je regarde il n’y a personne

    Je suis toujours entouré d’un espace vide et blanc

    et je cherche des réponses

    aux lézardes des murs. »

     

    Après, je vous certifie que j’ai super dormi. Se vider la tête comme ça avant, ça évite toutes ces gymnastiques hypnagogiques vous savez, ces trucs qui vont, qui viennent, qui vous sur-veillent et qui vous empêchent de sombrer vite fait dans les bras de la belle Morphée ( Mort-Fée ? Oh ! pardon…)

    Quand je m’suis levé, j’ai regardé dehors : ‘’moins huit’’ m’a dit le thermomètre de la fenêtre. Wouh ! Ouh ! Faut se couvrir pour aller bosser j’ai pensé…

    Après ? Course contre la montre habituelle pour éviter d’être à la bourre. Mais ça vous connaissez par cœur, non ?

    Donc, RER C puis le métro. Toujours la même cohue mais le matin comme ça vous avez hummmm ! toutes les odeurs de tous les déo-choses ou gels-trucs de la création cosmétique dont la télé vous a rabattu les oreilles la veille au soir. Avec un peu de bol, vous pouvez en prime profiter d’un demi sourire chouette-machin ou d’une haleine bidule-extra-fraîîîîche que vous balance la fille contre laquelle vous êtes bien involontairement plaqué par la foule – qui vous roule, vous entraîne… Piaf, non ? -. Le mélange d’odeurs est parfois à gerber mais c’est toujours mieux que le soir, je vous l’accorde.

     

    Quand je suis sorti du métro il y avait des gyros bleus et oranges qui animaient le boulevard et les flics et les pompiers qui descendaient juste de leurs bagnoles.

    Et là, je l’ai vu. Sur le banc. Il était allongé en chien-de-fusil, bras croisés. Il avait un futal beige foncé et ses pieds étaient à l’air, pas de pompes, pas de chaussettes. Son sac aussi avait disparu. Sauvage la ville la nuit !

    Son visage était gris pâle, ses lèvres presque blanches.

    Aucune buée ne sortait de sa bouche entrouverte…

     

    J’suis resté scotché. Assommé. Tétanisé. Badaud bras ballants.

    Verdict du médecin des pompiers : hypothermie fatale.

     

    Alors c’tait pas avec une nana qu’il avait rendez-vous…

    Rien dans son allure … sdf !

    Quelle merde.

    Si j’…

     

    in "les preuves incertaines"  inédit

     


    1 commentaire
  • l'oeil & la plume... quête

    texte de bruno toméra    ill. jlmi

     

    Puis la passion de st Matthieu quand Bach
    Tord sa baguette sur ma bouteille d'alcool
    Où je loge ce bobard solitaire que je me distille
    Sous la nuit bleu pétrole avec ce ticket de caisse
    De la vie dans le ventre vide d'un vieux sac
    De supermarché s'enfuyant affolé au travers de la ville,
    Ce sans vous, ce sans ils, cette bile acide au gris matin
    Sur mes chaussures faisandées,
    Fais longtemps que j'ai pas tiré un coup
    Dans le kleenex immaculé des poètes enrhumés,
    Nettoyer ses rides devant le miroir fêlé de la prestance,
    Allumer la énième clope, cracher quelques éponges,
    Chauffer le sénile diesel et foncer
    Pare-choc contre pare-choc
    A cinquante et un kilomètres heure
    dans le tohu-bohu bohu de l'existence
    Vers l'impérieuse quête du saint Graal
    De l'amour inventé sur des guibolles fermes et blanches
    Pour s'abreuver au néant de la biologique nécessité
    d'une chatte bien chaude,
    Et c'est pas gagné.

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume... tu t’assois dans ce regard là

    texte de sophie marie van der pas                                                   ill. jlmi 2020

     

    A l'échappée des brumes

    derrière l'ombre le soleil baille

    repose les beiges venus de la lune

    La marée se dépêche

    Pressée d'oublier ses naufrages

    aucun bateau en vue trop tôt

    cet instant sans voile appartient aux falaises

    bruyères maquillées

    le tableau cherche un cadre à la pointe du jour

     

    tu t’assois dans ce regard là

     

     


    1 commentaire