• carver palourde verticaleB&W.jpgtexte de raymond carver                                                           ill. jlmi  2014
     
     

    Je ne sais comment ni pourquoi

    ça m’est revenu. Mais je me suis mis à y penser

    juste après que Robert ait appelé

    me disant qu’il arrivait dans quelques minutes

    pour qu’on aille aux palourdes.

     

    C’était mon premier boulot et je travaillais

    sous les ordres d’un dénommé Sal.

    Cinquante et quelques années, et

    simple magasinier comme moi.

    Parti de rien il était

    arrivé à pas grand-chose. Mais content

    d’avoir un boulot, comme moi.

    Il connaissait les rayons du magasin

    comme sa poche et il voulait bien

    m’apprendre. J’avais seize ans, je travaillais

    pour des clopinettes mais j’étais heureux

    comme ça. Sal m’a transmis

    son savoir. Il était patient

    mais faut dire aussi, je pigeais vite.

     

    Mon plus grand souvenir

    de cette période : quand on ouvrait

    les cartons de lingerie féminine.

    Les culottes et autres petits machins

    moulants. Quand on les sortait du carton

    par poignées. Déjà à l’époque,

    il s’en dégageait quelque chose

    de magnifique et de

    mystérieux. Sal appelait ça

    « Les dessou-ous », « les dessou-ous ? »

    Je le croyais sur parole. Alors pendant un temps

    moi aussi j’ai appelé ça : « Les dessou-ous. »

     

    Puis j’ai vieilli. Je n’étais plus

    magasinier. Et j’ai commencé à prononcer

    correctement ce mot français.

    Je savais de quoi je parlais !

    J’avais commencé à sortir avec des filles

    dans l’espoir de faire descendre leurs petites culottes,

    de toucher ce tendre petit morceau de soie.

    Et quelques fois ça marchait. Seigneur, oui,

    elles me laissaient faire. Et leurs culottes

    elles étaient vraiment dessou-ous.

    Tout en dessous, collées à la peau blanche,

    et elles glissaient lentement le long du ventre,

    les long des hanches et des fesses,

    et des superbes cuisses, glissaient un peu

    plus rapidement à hauteur des genoux

    puis des mollets ! Atteignaient les chevilles

    réunies pour cette occasion. Et tombaient enfin

    sur le plancher de la voiture où

    on les oubliait. Jusqu’au moment où

    il fallait les chercher à tâtons.

     

    « Les dessou-ous »

     

    Ces adorables filles !

    « Le chat s’est caché là-dessous. »

    Robert et ses gosses et moi

    là sur la plage

    avec les seaux et les pelles.

    Les gosses ne mangent pas de palourdes.

    Il n’arrêtent pas de faire des « Beurk »

    ou des « bouah » en voyant les coquillages

    dans la pelle pleine de sable,

    avant qu’on les jette dans le seau.

    Et moi qui ne cesse de penser à Yakima.

    Aux sous-vêtements soyeux,

    aux dessous qu’elles portaient en dessous

    Jeanne et Rita, Muriel, Sue et sa sœur,

    Cora Mae. Toutes ces filles.

    Des grandes personnes maintenant. Ou pire.

    Disons-le : des mortes.

     

     in  là où les eaux se mêlent     ed l'incertain  1993

     

     


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    …j’ai la gueule de bois, Ô une belle et légère, l’alcool d’Akram est doux aux neurones. On est bien arrivé une heure en avance dans ce hall de l’espace de arts, au buffet ça buvait du rouge et du blanc dans des coupes, le plateau coupe faim à porter, bordel mal à l’aise, j’ai donc été fumer une cigarette avec les gens qui me semblait aussi déguenillés de la vie que moi, quelques sourires, l’attente de la fête du corps. Et puis assis dans des fauteuils inclinables voilà que l’Akram déboule, à coups de masse sur la scène, musique stridente, travail, foule, multitude, tu vois tout, le voilà qui virevolte conjuguant une gestuelle indienne avec de la danse contemporaine.  Pendant une heure et demi «  le salaud... »  il n’arrête pas, il raconte par le corps une histoire, celle je suppose de ses origines, un bout d’histoire du Bangladesh, il danse avec des effets spéciaux d’une poésie sensible. Une scène où tu devines une foule floue revendicatrice et lui qui la regarde en se réclamant de cette foule tant le corps est tendu, les bras s’étendant comme des étendards vers le ciel, comme un peu de cette prière naïve des gens simples. Tu en prends plein la tronche, les moments de douceur sont soulignés par les effets spéciaux délicats et pas m’as-tu vu, l’équipe qui l’accompagne doit être de cadors dans leur genre et puis la musique, - Jocelyn Pook, elle a travaillé avec Stanley Kubrick - te rentre par chaque pore de la peau, c’en est insensé.... J’ai versé deux ou trois larmes à la fin, putain que c’est bon... On est rentré sur le verglas sans s’en rendre compte, il venait de tomber quelques sacs de neige et le ciel se dégageait en laissant des étoiles riantes, on a donc rigolé ensemble…

     


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  • l'oeil & la plume... le rêve n

    texte de astrid manfredi  2016                                edward hopper   11am  1926

     

     

    Il est tôt. Le crépuscule du matin. Ma vie se faufile entre les ombres. Mon cœur bat lentement décidé à prendre du repos. Je n’en perçois plus le va-et-vient. Peut-être s’est-il arrêté sans que je m’en aperçoive ? Morte vivante. Il fait froid dans la chambre d’hôtel. C’est l’hiver. C’est New-York. Les néons sont insomniaques. Les tours sont emmitouflées d’acier et de verre.  On dirait qu’elles pleurent. Pas un chat dans l’impasse de l’aube. J’ai chaud aux pieds. Je n’ai pas oublié mes chaussons. Prendre soin de mes extrémités. J’ai envie de pleurer mais ça ne sort pas. C’est un chagrin compact, ancien, sec comme un vieux morceau de Corned-beef. J’ai pris du poids. Un bourrelet disgracieux sur l’abdomen, de la cellulite sur les cuisses. Trop de tout. De graisse, de sucre, de vide. Le tissu du fauteuil miteux où je suis installée me pique les fesses. J’ai la flemme de changer de place. Au moins est-il est face à la fenêtre. Je pense à maman. A sa maladie. A ce truc dans son ventre qui la ronge. Parait que c’est héréditaire. Ce n’est pas gai les gènes. J’attends le lever du soleil. J’attends le bruit du camion qui livre le lait. Il est 5h30 du matin. Je n’ai plus de frissons.  Les chansons mentent. Je pense à demain, à ce nouveau boulot.  Hôtesse de jour. Sourire, rouge à lèvres, tailleur cintré. Pas envie d’être aimable. Je sens le poids de mes cheveux. Ils sont épais et roux, comme ceux d’une irlandaise. Est-ce que je suis irlandaise ? Est-ce que mes ancêtres arpentaient la lande pour se rendre à la messe ? Non je ne crois pas. Je ne sais pas d’où je viens. A quoi bon ? J’ai envie d’un café. Un costaud bien serré qui met l’estomac en vrac. J’aperçois un type, il siffle, c’est le livreur de journaux. Il a l’air heureux de porter ses mauvaises nouvelles. Que cette chambre est moche. Que cette ville fait du bruit pour assourdir l’épouvante des âmes. J’ai envie d’une fenêtre qui s’ouvre sur la mer. Je veux du cobalt. Oh un oiseau ! Il s’est posé sur le rebord d’une fenêtre mitoyenne. Il me toise de son œil jaune. Quel aplomb. Le même que tous ces types qui s’imaginent que je vais coucher gratis avec eux quand ils m’ont offert un verre. Il prend son envol et ses ailes se déploient sans envergure. C’est un oiseau des villes et il a compris qu’il n’était pas le bienvenu. Je crois que maman va mourir. J’ai peur. Peur du monde sans elle. Je suis nue. Elle m’embrasse, elle sent le tabac blond et la poudre de riz. Mes paupières sont lourdes comme le ciel. J’ouvre la fenêtre. Air de glace. C’est l’hiver. C’est New-York. Sauter …

     

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  • l'oeil & la plume... le cri d'une montagne

    texte de Vénus Khoury-Ghata                                                        ill. jlmi 2020

     

    Les pierres de ton jardin parlent plus haut que les passants
    elles se réclament d'une ascendance qui remonte à la première caverne
    quand deux silex détenaient le feu et qu'un vent pauvre
    balayait les ronces d'un alphabet atteint de surdité

    Les choses étant ce qu'elles sont
    Il suffit de serrer une pierre dans ta main pour vibrer
    avec la planète
    détecter la fronde d'un volcan
    le cri d'une montagne écroulée par une fourmi

     

    Merci cg !

     


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  • l'oeil & la plume... j'étais assis, seul, sur un banc public...

    texte de léon cobra                                                        ill. braconnage prod

     

     

     

     

    Je n'attendais personne et personne ne m'attendait.

    Les chômeurs chômaient, les dealers dealaient, les travailleurs travaillaient, les profiteurs profitaient, les violeurs violaient, les pollueurs polluaient, les rêveurs rêvaient, les cuisiniers cuisinaient, les buveurs buvaient, les penseurs pensaient, les assassins assassinaient, les plongeurs plongeaient … c'était juste avant la Révolution.

    J'avais le regard vide .Mes yeux larmoyaient. Mes membres tremblaient.

    Je venais juste de me faire opérer d'un cancer. J'étais meurtri, fatigué, usé, déprimé, recousu, appareillé, timoré, angoissé, brisé, anémié, prostré, désœuvré, léthargique.

    La Sécu m'avait accordé un bonus : cinq ans à 100 % !

    Je comptais les minutes. Je biffais les jours sur le calendrier.

    J'avais mis des lunettes noires … c'était juste avant la Révolution.

     

    Le petit chaperon rouge avait peur du loup, le président Donald du président Kim, l'OM du PSG.

    L'intérimaire tremblait devant le contremaitre qui tremblait devant le DRH qui tremblait devant le PDG qui tremblait devant les actionnaires.

    Il ne pleuvait jamais. La terre était sèche. Les bêtes mouraient de soif. Les paysans abandonnaient leur campagne et rejoignaient les bidonvilles autour du périphérique … c'était juste avant la Révolution.

    Les hommes buvaient, se droguaient, forniquaient. Les femmes buvaient, se droguaient, forniquaient . Les adolescents buvaient, se droguaient, forniquaient. Il y avait des pédophiles à la sortie des écoles, des racistes sur les listes électorales, des salons de massage à la place

     

     

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