• l'oeil & la plume...

    texte de pierre seghers                                                                ill. anonyme*

     

    Dans les relents d’une cantine, dans la sciure et le vin rouge

    la serveuse regarde parfois d’étranges figures qui bougent

     

    Elle voit à même le sol des drapeaux de toutes les couleurs

    mêlés et déchirés, les soldats n’y reconnaissent plus les leurs

     

    Elle efface à coup de wassingue tout ce qui reste des armées

    pour que le carrelage brille, puis elle s’en va, désarmée

     

    dans la cuisine, astiquer le percolateur. Elle s’y voit

    laide, avec de longues dents et de gros doigts.

     

    Un jour, un garçon qui peignait de grande fresque dans la salle 

    -- un artiste-peintre, au régiment, ça barbouille, là où on l’installe

     

    lui a dit : «  Tu n’as pas changé. La même depuis 48, sur les

    barricades, tu t’en souviens ? ». Il s’est mis à peindre plus vite,

     

    une femme qui brandissait un drapeau et chantait. C’était drôle

    ce bras tendu, ce curieux bonnet, ces épaules

     

    où elle se retrouvait jadis, rien qu’un instant, rien qu’un instant

    dans les relents de la cantine, près du soldat lui souriant…

     

    * si vous connaissez l'auteur de l'illustration, merci de me le faire savoir par les commentaires, d'avance, merci.

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume...complainte des mendiants de la Casbah & de la petite Yasmina tuée par son père

    texte de ismaël ait djafer  1951                                                                             ill. jlmi  2014

     

     

    dédié à ceux qui n'ont jamais eu faim...

     

    Poème / Préface/ Eclair / L'édition de ce / Poème / Est le résultat d'une / Mendicité / Publique. / C'est le suc des / Herbes / de la / Misère / Macérées dans une boite de fer blanc ramassée dans la / Rue.../ Buvez-le.. ce suc.

    Foule

    Particulier

    Auditoire

    Spectateurs

    Badauds

    Lecteurs

     

    Je lève

    Mon verre plein de sang

    à

    La santé

    de ceux qui sont en bonne santé

     

    Je le lève

    Et je le casse

    Rageusement sur le comptoir

    De ma colère

    Et

    J'en triture les tessons

    Rageusement...

    Entre mes doigts pleins de

    Sang...

     

    La complainte,

    Voilà

    Il faut aussi

    Que j'aie toute ma tête à moi

    Tout seul

    Et pour toute la

    Nuit...

    Viens, Charlemagne

    Je vais te dire un poème

     

    Comme j'en disais hier encore

    Au Quartier...

     

    Je disais...

    Mais il faut que je réfléchisse

    Que je sois froid

    Comme un cadavre

    Celui de la petite Yasmina.

     

    Je disais.

    J'ai faim et je m'en fiche

    J'a i sommeil et je m'en fiche

    J'ai froid et je m'en fiche

    Il y a des joies terribles

    A gratter du papier

    A deux heures du métro.

    Bar du matin

    Rue Dufour Paris

    6ème

    A 8000 kilomètres, il y avait la mer à boire

    A boire et à manger le soir et le matin

    Un coq à l'âne rôti

    Avec mon copain Neptune

    Avec mon copain Gitan

    Avec mon copain Slim l'Américain

    Qui avait trois doigts coupés

    Avec mon copain Benny et ses yeux de Bozambo

    Avec ma copine Nelly qui mangeait tout le temps

    du sucre galvanisé pour les vitamines

    K.

     

    Mais tu sais

    Charlemagne,

    Il y a des gens qui disent j'ai faim

    Et puis c'est tout.

    Il y a des gens qui disent j'ai froid

    Et puis c'est tout.

    Il y a des gens qui disent j'ai sommeil

    Et puis s'étendent sur le marbre

    Des dalles

    Des trottoirs

    Des rues

    Désertes...

    Mais le ventre plein, les enfants de Charlemagne

    Chantent une chanson.

    Une chanson qu'on apprend à l'école.

     

    Au clair de la lune

    Mon ami Pierrot.

    Prête-moi ta plume

    Pour écrire un mot.

     

    Les mains des pauvres

    A la Casbah

    Sont longues et maigres et tendues comme des racines

    De pommes de terre.

    La voix des pauvres

    Est grêle

    Et ils ont des yeux ronds

    Et ils ont une sale gueule.

    La gueule de Pépé le Moko quand il se casse rue du

    Regard un jour de

    Pluie

    Au Musée Grévin.

     

    Une minute de silence...

     

    Deux heures de minutes de silence

    A la mémoire des morts de faim

    A la mémoire des morts de froid

    A la mémoire des morts de sommeil

    A la mémoire des morts fauchés

    Et une minute papillon je t'en prie après vous, je vous en prie.

     

    A la mémoire aussi

    Des morts vivants, ni trop morts ni trop vivants

    Qui sont encore

    Vivants

    Faute de mieux.

     

    Un jour

    Dans les rues de ma Casbah

    Je me suis mis à compter les pauvres

    Les gueux dénombraient leur vermine

    Puces, poux, punaises emballage compris

    In n'y a qu'un soleil pour tous

    Pour les Américains et pour les Cannibales.

    Mais les pauvres ne savaient pas

    Compter

    Et moi

    J'avais la flemme de le faire

     

    Car

    Au fond, Charlemagne, je m'en fiche

    Moi

    De tous les crétins, les miteux, les pouilleux, les

    Dégueulasses, les infirmes, les crevettes, les malheureux

    Les ivrognes, les camemberts, les truands, les tordus,

    Les sourds-muets

    Et tous les autres, les gros et les maigres

    Du moment

    Que je peux plus acheter à la Petite Source

    En chipant la salière et le pot de moutarde

    Mon cornet de frites

    Pour le manger

    Rue de l'Ancienne Comédie et puis Rue de Buci...

     

    L'absurde complainte de mes frères

    L'absurde appel aux coeurs généreux

    Seigneur, regardez-les

    Donnez-leur leur caviar quotidien.

    N'oubliez pas aussi

    Leurs enfants

    Ils ont besoin d'aller au cinéma.

    Mais le ventre plein les enfants de Charlemagne

    Chantent une chanson

    Une chanson qu'on apprend à l'école :

     

    Il était un

    Petit navire (bis

    Qui naviguait je ne sais plus comment

    Ohé...

    Ohé...

     

    Mais ils l'ont dit

    Il faut des hommes forts pour une nation forte...

    Il ne faut pas courir après deux souris blanches...

    Il faut être un roseau pensant...

    Essuyez vos pieds avant d'entrer...

    La chose est au fond du couloir

    A moi comte, de deux mots il faut choisir le moindre

    La naissance précède l'existence.

     

    Ave Maria... morituri te salutant...

    Vogue la galère

     

    Evidemment... Evidemment.

     

    EVIDEMMENT....

     

    En 1944

    Charlemagne,

    Mes vers embouchaient des trompettes victoriennes.

    Quand vous verrez un pauvre, affalé comme un mort,

    A la pitié du nombre, en vain montrer sa face

    Oh... Songez un instant à la terrible angoisse

    Des vivants emmurés dans les cachots du Sort.

    Les nuits sont fraîches au Canada...

    Mais comme c'est plus facile

    Plus vrai

    De dire avec mes mots de tous les jours

    Regarde

    Regarde cette procession de têtes de pie sans vie avec

    Leurs bidons de soupe, leurs bâtons d'olivier et leurs

    Bâtons blancs

    De la société

    Protectrice des animaux domestiques

    Ou pas,

    Avec leurs boîtes de fer blanc, leurs chiffons, leurs

    Burnous pourris, leurs chéchias pourries, leurs yeux

    Pourris, leur démarche de macchabées, leurs pieds nus.

    Leurs salles à manger, leurs courant d'air, leurs haïks

    En portion de six comme la vache qui rit ou la vache

    Sérieuse, leurs enfants, leurs cordes à noeuds, leurs

    Cheveux, leurs pinces à linge modèle breveté S.G.D.G.,

    C.Q.F.D., A.B.C.D., leur crâne rasé comme à

    Barberousse, leur cou sale, les mots qu'ils marmonnent

    Les jours pluvieux,

    A bas l'hémistiche!

    L'hémistiche est mort! Vive le Roi!

    Au poteau!

    Au piqué avec un bonnet d'âne et une veste de velours

    Plus facile de dire

    Avec la tristesse serrant ma gorge

    A n'importe qui

    Au Président de l'Assemblée Algérienne

    A celui de l'estudiantina de Bab-el-Oued

    A celui du club du chien de défense et de berger

    Aux enfants de Marie

    A Zorro, l'homme au fouet et son cheval Médor :

    La charité pour mes frères qui ont faim

     

    (d'après, Editions Bouchène, Alger, 1987. N° d'édition 001/87. Dépôt légal 1er trimestre 1987. Re-publié  par le n°10 de la revue Albatroz, Paris, janvier 1994).

     

    Source   http://albatroz.blog4ever.com/ismaal-aat-djafer-complaint...

     

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume... escaliers froissés

    texte de Lee Sumyeong                                                   toile de anselme kiefer

     

    Je grimpe les escaliers,
    escaliers froissés

    À chaque marche,
    les menaces disparaissent.

    Deux personnes se battent
    elles jettent les escaliers ;

    tout le monde se bat.

    Une personne coupe le bras d’une autre personne
    et le jette au loin.

    Le bras jeté au loin
    revient
    et grimpe les escaliers.

    Je fais des roulés-boulés et
    bascule vers moi, fréquemment.

    Je grimpe les escaliers
    mais les escaliers sont invisibles.

    Je m’assois sur l’échafaud
    mais je suis déjà décapitée.

     

    traduction  Marie-Christine Masset

     


    votre commentaire
  • inédit... le devisement de la Terre  (extrait)

    texte de werner lambersy                                                              ill.  jlmi  2020

     

    Il n’y a plus d’eau

    Il y aura des millions de morts

     

    Il n’y a plus d’air

    Il y aura des millions de morts

     

    Il n’y a plus d’espace

    Il y aura des millions de morts 

     

    Il y a dieu l’argent et la drogue

    Il y aura des millions de morts

     

    Mais il y a nous

    Et le bel enlacement d’amour

    Qui nous libère

     

    De tous ces millions de morts

     


    votre commentaire
  • l'oeil & la plume... croissant de toi

     texte de marie allègre                                ill.jlmi 2020 d'après jérome mesnager


     

    Couchée contre ton dos
    Je passe ma main sur toi

    Chaque élan de mes doigts
    Te dit je t’aime

    Je fais couler ma langue entre tes deux épaules
    Au creux de la colonne
    Au gré de ma folie

    Tu es vaste
    Mon miracle
    Et je t’explore

    Ma forêt de peau tendre
    Ma montagne bénie
    Fleuve d’amour
    Courant de force
    Tu tiens de l’infini

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique