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texte de jlmi toile de jean patrick capdevielle
Fin d’année au soleil.
Marrant de voir tout le monde presque à poil sur les plages et dans les rues et les vitrines se balancer des pères Noël, des guirlandes, des boules et de la neige de coton hydrophile. L’contre pied !
J’étais accoudé à la rambarde du balcon et j’ai vu sous un hibiscus, juste en face
un sac de ceinture – une banane – Je suis allé le ramasser…
Inventaire de la pochette :
une jupe de crépon noir toute bouchonnée,
deux mouchoirs en papier,
un sachet de protections périodiques quasi vide,
un stylo,
un peigne à forte denture,
de petits élastiques multicolores
et un protège passeport de plastique bordeaux contenant,
une déclaration de perte de passeport et de permis de conduire, auprès de la mairie de StF, datée du cinq janvier, faite par “ Caroline Maïté H. née le quinze avril cinquante neuf à Paris, domiciliée habituellement dans le vingtième arrondissement de Paris, de passage à StF. ”,
et une petite carte de voeux d’anniversaire, comme les fleuristes en agrémentent les bouquets, représentant des chatons.
Inventaire de la poche extérieure :
un carton au format carte de crédit, imprimé du portrait d’un très jeune garçon, joint à un bon PMI de la Direction des Actions de Solidarité Départementale, délivré par le dispensaire de StF à l’Institut Pasteur de “ réaliser sur une jeune femme enceinte, Caroline H., un BHCG plasmatique et une recherche sérologique HIV . ”
Inventaire de la petite poche de la partie antérieure :
une lettre en partie déchirée, écrite sur une feuille de papier d’écolier, supplique à une grand-mère :“ attends de revoir tes arrière petites filles avant de partir... Ne crois pas les horreurs que maman peut te raconter sur mon compte, tu sais bien toi que ta fille a toujours été contre moi...Attends moi, j’ai tellement besoin de toi... ”
Au dos de ce courrier jamais posté, une adresse “ procureur de la République , TGI de P ” et les coordonnées téléphoniques d’un Pascal R.
Décalage !
Surprise passée, émotion retombée, je suis allé remettre la banane au commissariat de StF.
Le flic semblait prendre vraiment la vie du bon côté. Son sourire sans doute, digne d’une marque de dentifrice !
« Mais je la connais bien Caroline H., c’est moi qui lui ai remis sa déclaration de perte de papiers d’identité. »
Il a enchaîné
« Dans la poche où se trouve la lettre, là, il y a de l’herbe, vous avez vu ? »,
« De l’herbe ? » je pensais en moi-même ben oui couillon, j’ai trouvé le sac dans l’herbe « Oui, de celle que l’on fume ! Regardez…» a-t-il poursuivi, avec un sourire entendu, … J’ai jeté un œil et je n’ai rien vu de spécial !
Il m’a ensuite expliqué que sur requête du procureur, la police était à sa recherche depuis mars au sujet de la garde de son enfant.
« Elle est sdf vous comprenez… ? Et puis maintenant elle n’a même plus de papiers provisoires. Elle est vraiment dans la merde !»
Décalage !
Pour elle la merde n’était sans doute pas dans ces dérisoires papelards officiels.
Dérisoires oui, en regard de sa vie éclatée
Huit mois qu'elle jouait à cache-cache avec les flics
Et puis,
il y avait sa grand-mère qui n’avait sans doute pas eu la force de l’attendre
il y avait sa mère qui l’avait rejetée
il y avait elle et son sida probable
il y avait son fils…
Oui, c’était ça la merde, pas autre chose !
Bonne chance gamin, Good luck Caroline !
in les Preuves incertaines editions Nouveaux Délits 2021
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texte de harry r. wilkens ill. courtesy norman j. olson
Des gens pressés
ne se souciant pas
d'autre chose
que de leur prochaine pisse.
Des squares vides
d'enfants,
pleins de
promeneurs de chiens
vivant
sur des indemnités.
Les étrangers
font marcher
cette oisiveté,
alors que
tout est
contrôlé
par des requins,
des vautours
et des crocodiles
derrière les vitres teintées
de leurs
limousines extensibles
déambulant
à travers les rues.
(traduit par Walter Ruhlmann)
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texte werner lambersy ill. photo x
Les hommes se dévoreront
comme des insectes
croiront
dans l’ordre, l’argent et dieu
la nature
indifférente suivra le ruban
du piano mécanique
du temps
le silex de l’univers lancera
ses étincelles froides
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texte de cathy Garcia installation Chiharu Shiota The world is pink !
La voix brode le silence d’une chanson triste. Elle parle d'amour consolateur et voilà l'histoire : Rosa pleure. Elle pleure et pleurera encore pendant des siècles et des siècles. Sa tristesse n’a ni fin, ni commencement, elle est née avec elle, telle une ombre, le négatif de la lumière.
Toutes les Rosa pleurent et leurs larmes alimentent l'océan de toutes les peines. Toutes les Rosa pleurent à genoux, devant leurs fleurs piétinées, mais jamais elles ne désespèrent de ce jardinier, celui dont elles ont tant entendu parler : l'homme avec un petit "h" comme humilité, deux « m » pour mieux aimer, grand cœur, belle âme, aux mains tendres et fertiles.
Rosa depuis longtemps ne rêve plus, craint le silence quand il tombe comme un couperet pour dévoiler les chaînes. Tous les trousseaux de clés rouillées pour ouvrir des portes qui n'existent plus. Aujourd'hui pourtant, le silence est son refuge. C'est aussi son tombeau. Rosa pleure et des vagues amères la submergent. Son cœur souillé depuis trop longtemps sans fabriquer de perle.
Un jardinier..., pense t’elle. Un jardinier pour tailler les branches mortes, afin que l'amour puisse enfin croître et s'épanouir. Rosa ne demande que ça : fleurir !
La nuit passe. Un sursis. C’est le matin tout couvert de brumes. Rosa peut sentir la froidure jusqu'au fond de ses yeux. Elle reste cloîtrée dans la chambre des tortures, sa tour de silence. Elle a usé trop de mots déjà. Il n'y a plus rien à dire, seulement attendre. Attendre que le temps recouvre les plaies de doux tissus de mensonges.
Rosa, écoute ! Un chant tout proche parle d’amour consolateur.
Cg, 1998
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texte martin winckler ill. jlmi 2021
Écrire, c’est prendre la mesure de ce qu'on ne se rappelle pas, de ce qu'on ne retient pas.
Écrire, c'est tenter de boucher les trous du réel évanescent avec des bouts de ficelles, faire des nœuds avec des voiles transparents en sachant que ça se déchirera ailleurs. Écrire, ça se fait contre la mémoire et non pas avec.
Écrire, c'est mesurer la perte.
in la maladie de Sachs
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