• texte de Antonin Artaud

    l'oeil & la plume... la chaise de Gauguin

    Vincent van Gogh - le fauteuil de Gauguin 1889

     

    Un bougeoir sur une chaise, un fauteuil de paille verte tressée, Un livre sur le fauteuil, et voilà le drame éclairé. Qui va entrer ? Sera-ce Gauguin ou un autre fantôme ? Le bougeoir  allumé sur le fauteuil de paille indique, paraît-il, la ligne de démarcation lumineuse qui  sépare les deux antagonistes de Van Gogh et de Gauguin. L’objet esthétique de leur dispute n’offrirait, si on la racontait, pas grand intérêt peut-être, mais il devait indiquer entre les deux natures de Van Gogh et de Gauguin une scission humaine de fond. Je crois  que Gauguin pensait que l’artiste doit rechercher le symbole, le mythe, agrandir les choses de la vie, jusqu’au mythe, alors que Van Gogh pensait qu’il faut savoir déduire le mythe des choses les plus terre-à-terre de la vie. 

    En quoi je pense, moi, qu’il avait foutrement raison. Car la réalité est terriblement supérieure à toute histoire, à toute fable, à toute divinité, à toute surréalité. Il suffit d’avoir le génie de savoir l’interpréter.

    Ce qu’aucun peintre avant le pauvre Van Gogh n’avait fait, et ce qu’aucun peintre ne fera plus après lui…

    … C’est ainsi que la lumière du bougeoir sonne, que la lumière du bougeoir allumé sur le fauteuil de paille verte sonne comme la respiration  d’un corps aimant devant le corps d’un malade endormi. Elle sonne comme une étrange critique, un profond et surprenant  jugement dont il semble bien que Van Gogh puisse nous permettre de présumer la sentence plus tard, beaucoup plus tard, au jour où la lumière violette du fauteuil de paille aura achevé de submerger le tableau.

    Et on ne peut pas ne pas remarquer cette coupure de lumière lilas qui mange les barreaux du grand fauteuil torve, du vieux fauteuil écarquillé de paille verte, bien qu’on ne puisse pas toute de suite la remarquer. Car le foyer en est comme placé ailleurs et sa source  étrangement obscure, comme un secret dont le seul Van Gogh aurait gardé la clef .

     

    Antonin Artaud  in Le suicidé de la société

     

    l'oeil & la plume... la chaise de Gauguin

    Vincent van Gogh - la chaise 1889

     

     

     

     

     


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  • texte & photo Pedro Pietri  by Lawrence Lucier


     

     

    le plus grand poète vivant

    à New York

    est né à Porto Rico

    Son nom est Jorge Brandon (1902-1995)

    il a plus de 70 ans

    il porte sa métaphore

    dans des sacs à provisions marron

    panier intérieur en acier

    il voyage avec

    dans les rues de Manhattan

    il récite sa poésie

    à celui qui écoute

    & quand personne n’est là

    il se récite

    il dit la sagesse

    d’inoubliables palmiers

    le vocabulaire des noix de coco

    qui portent des manteaux

    les feux de circulation

    de ses poèmes fonction

    sans conseils ennuyeux

    de courant alternatif ou continu

    librairies et bibliothèques

    sont privées de ses ondes

    pour se familiariser

    avec ce poète immortel

    tu dois traîner

    aux coins de rue

    les toits des bureaux

    escaliers de secours bars parcs

    stations de métro

    bodegas botanicas

    iglesias prêteurs sur gages

    jeux de cartes combats de coqs

    funérailles valencia* boulangerie

    près des chasseurs des palaces

    des salles de billards d’Orchard Beach

    & des barraques de cuchifrito**

    au plus bas de l’Eastside

    l’entrée est gratuite

    sa présence est poétique

     

     

    *jolie femme

    **aliment frit à base de porc

     

    the greatest living poet

    in new york city

    was born in Puerto Rico

    his name is Jorge Brandon (1902-1995)

    he is over 70 years old

    he carries his metaphor

    in brown shopping bags

    inside steel shopping cart

    he travels around with

    on the streets of manhattan

    he recites his poetry

    to whoever listens

    & when nobody is around

    he recites to himself

    he speaks the wisdom

    of unforgettable palm trees

    the vocabulary of coconuts

    that wear overcoats

    the traffic lights

    of his poems function

    without boring advice

    from ac or dc current

    book stores & libraries

    are deprived of his vibes

    to become familiar

    with this immortal poet

    you have to hang-out

    on street corners

    building stoops rooftops

    fire escapes bars parks

    subway train stations

    bodegas botanicas

    iglesias pawn shops

    card games cock fights

    funerals valencia bakery

    hunts point palace

    pool halls orchard beach

    & cuchifrito stands

    on the lower eastside

    the admission is free

    his presence is poetry

     

     

    in Pedro Pietri, "Traffic Misdirector" from Selected Poetry.

     

    trad jlmi  2023

     

     


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  • texte & collage Odile Steffan

     

     

     

     

    Secrets d'enfance bien gardés
    Le bonheur s'effeuille au fil des jours
    Conversations de théâtre 
    Gestes répétés
    Fidélité aux obsessions

     

     ***

     

    Fenêtres en ruines
    pulvérisées
    sur les décombres    bocal intact
    où tourne tourne le poisson
    à la mémoire courte

    Agrippés à l'espoir
    nous demeurons muets
    chemin de croix effrayant
    voyages en exil
    à chaque pierre   un drame
    une guerre
    un cri arraché
    un corps enseveli sous la mousse
    un corps englouti par les mers

     

    Atelier Collage & écriture de Cathy Garcia Canalès - 17 novembre 2023 - Cahors

     


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  • texte Jacques Prévert                                     ill.Nice Art - Paris 13eme

     

     


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  • texte Boris Vian                                                                               ill. Ciril K.

     

    Je voudrais pas crever

    Avant d'avoir connu

    Les chiens noirs du Mexique

    Qui dorment sans rêver

    Les singes à cul nu

    Dévoreurs de tropiques

    Les araignées d'argent

    Au nid truffé de bulles

     

    Je voudrais pas crever

    Sans savoir si la lune

    Sous son faux air de thune

    A un côté pointu

    Si le soleil est froid

    Si les quatre saisons

    Ne sont vraiment que quatre

     

    Sans avoir essayé

    De porter une robe

    Sur les grands boulevards

    Sans avoir regardé

    Dans un regard d'égout

    Sans avoir mis mon zobe

    Dans des coinstots bizarres

     

    Je voudrais pas finir

    Sans connaître la lèpre

    Ou les sept maladies

    Qu'on attrape là–bas

    Le bon ni le mauvais

    Ne me feraient de peine

    Si si si je savais

    Que j'en aurai l'étrenne

     

    Et il y a z aussi

    Tout ce que je connais

    Le fond vert de la mer

    Où valsent les brins d'algue

    Sur le sable ondulé

    L'herbe grillée de juin

    La terre qui craquelle

    L'odeur des conifères

    Et les baisers de celle

    Que ceci que cela

    La belle que voilà

    Mon Ourson, l'Ursula

     

    Je voudrais pas crever

    Avant d'avoir usé

    Sa bouche avec ma bouche

    Son corps avec mes mains

    Le reste avec mes yeux

    J'en dis pas plus faut bien

    Rester révérencieux

     

    Je voudrais pas mourir

    Sans qu'on ait inventé

    Les roses éternelles

    La journée de deux heures

    La mer à la montagne

    La montagne à la mer

    La fin de la douleur

    Les journaux en couleur

     

    Tous les enfants contents

    Et tant de trucs encore

    Qui dorment dans les crânes

    Des géniaux ingénieurs

    Des jardiniers joviaux

    Des soucieux socialistes

    Des urbains urbanistes

    Et des pensifs penseurs

    Tant de choses à voir

    A voir z et à entendre

    Tant de temps à attendre

    A chercher dans le noir

     

    Et moi je vois la fin

    Qui grouille et qui s'amène

    Avec sa gueule moche

    Et qui m'ouvre ses bras

    De grenouille bancroche

     

    Je voudrais pas crever

    Non monsieur non madame

    Avant d'avoir tâté

    Le goût qui me tourmente

    Le goût qu'est le plus fort

    Je voudrais pas crever

    Avant d'avoir goûté

    La saveur de la mort...

     

     


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