• l'oeil & la plume...

    texte de patti smith                                              photo ©Anton Corbijn   2010

     

    Ne soyez pas surpris si la mort vient de l'intérieur...

    Sept jours & six nuits le héros veilla sans pitié.
    horizontalement sous le ciel. sans manger sans boire sans aimer.
    après quoi en avait-il ? que cherchait-il ?
    un signe ? une réponse ? une issue ? Quelque chose de neuf...

    Maintenant au septième soir du septième jour le héros
    ne tenait plus qu'à un fil. le manque de sommeil, de vivres
    & de bras amoureux prenait sa revanche. il cessa de
    regarder le ciel.

    Mon beau héros. lui dont l'ardente volonté était de garder les yeux
    ouverts dans l'instant échoua.
    Parce que le héros avait mis à vif les nerfs du ciel. ses regards perçants
    l'avaient excité. quand enfin il baissa les yeux les étoiles
    étaient devenues cinglées. cassiopée se balançait comme un berceau

    Un observateur de hasard incapable de dormir, rêvant à une
    fenêtre, comptant les moutons, n'en aurait pas cru
    ses yeux. la voie lactée se trémoussa se trémoussa. un troupeau
    d'étoiles filantes. des comètes folles. et 1'étoi1e du grand-chien
    pareille à une lune nouvelle-née.
    mais le héros ne vit rien.

    Comprenez : le ciel quand on le surveille est comme une marmite sur le feu. à
    la minute-même où le héros tourna les yeux les cieux débordèrent.
    météorites & planètes passèrent au-dessus de lui comme des chauves-souris.
    qu'aurait-il pu dire ? il n'était pas en forme. Sa langue devenait ivre &
    je ne parle pas de sa vue.
    ses yeux ne voyaient rien double.

    Tout était-il perdu ? jamais de la vie. c'était moche. mais considérez
    le problème sous cet angle : le héros avait enfin les pieds sur terre.

    Soudain (comme dans un film monumental) se déclencha
    une suite d'événements qui pénétrèrent son être intime ; son âme
    profonde. faisant éclater ses structures. criant ho-hisse à son
    expérience formelle :

    sept fourmis rouges mordirent sa main gauche
    six pierres tendres roulèrent sur sa langue
    ses cinq doigts s'étendirent sur un octave
    quatre plumes jaunes surgirent de nulle-part
    ainsi que-trois oiseaux bleus
    au-dessus de sa tête (halo) firent cercle deux papillons-lunes
    il avait faim alors il happa comme un iguane
    il avala les deux papillons
    son estomac frémit
    il s'engourdit. le trou noir.
    le sommeil le terrassa
    (une minute seulement
    mais cela lui sembla dés heures)
    & il rêva :

    espérons qu'il n'est pas en danger

    Il arrive sur la frayère de certains
    animaux sacrés. il a peur d'être obligé de
    copuler avec l'un d'eux. les danseurs indigènes l'encerclent
    puis le cernent. ils le déshabillent. son costume
    d'Adam a changé d'étoffe. il a une nouvelle coupe
    féminine. on le purifie. on enduit son corps
    d'essence de sang de taureau. on lui demande de choisir
    un animal.

    Un chat tigré se frotte à sa jambe. Un chat gris & or
    aux grands yeux bleus. des yeux si bleus que l'eau en vient
    à la bouche du héros. Une vache à la peau lisse aux pis laqués de rouge
    (très chinois) s'étire & se roule dans un tas
    de bleuets. fleurs bleues. plus bleues que
    les yeux du chat.

    Le héros s'interroge sur ses yeux. Dans cette atmosphère
    est-ce qu'ils paraissent aussi plus bleus qu'ils ne sont?
    zut pas de miroir en vue. est-ce que l'effet aura
    disparu quand il rentrera ? il espère que non.

    Sur sa gauche les collines vertes si vertes. un vert
    froid de menthe. il regarde au loin & sursaute.
    il voit Skunkdog.

    C'est un terrible mâtin au long pelage luisant. poils noirs.
    sa verge au contraire de ces chiens qui ont un
    chibre rouge & visqueux est d'un blanc pur. le héros palpite là en bas
    comme une femme & ne peut réfréner un geste obscène.

    Skunkdog écarquille les yeux. 2 formidables soucoupes bleues.
    les yeux les plus bleus qu'on puisse imaginer. plus bleus que les bluets,
    plus bleus que la méditerranée.

    Le héros est vaincu. Impudique. il se détourne puis regarde encore.
    oh non ! Skunkdog est parti. le héros court vers les
    vertes collines. Il est nu & les enfants rient.
    il s'en moque. il déracine les arbres les plantes & les
    rochers. il s'arrache les cheveux. partout
    d'étranges animaux s'accouplent. la température monte. des femmes
    mangent de la baleine. d'autres femmes exhibent leurs
    ventres.

    Dans un ravin il tombe sur Skunkdog. on l'a écorché.
    il voit sa carcasse encore chaude. le héros tombe prostré
    il va se désoler quand de nulle part lui tombe
    la peau de son amour abattu.
    il l'enfile.
    elle lui va comme un gant.
    il n'est plus héros.
    il n'est plus héros.
    mais Skunkdog
    poils noirs yeux bleus.

    doggod dog / god doggod
    yeux bleus yeux / dieu dieu bleu

    le chien s'envole dans la lune.

     

    Traduction Henry Meyer

    Ce poème a été publié dans Starscrewer n°11 Spécial Punk (1979)
    Voir le fac similé original : première page, deuxième page, troisième page.
    Entendre Patti Smith lire Skunkdog en 1971 (piste n°12) sur le site Ubuweb.

    Source Lucien Suel http://academie23.blogspot.fr/search/label/Traduction?m=0

     

     

     


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  • texte Joseph Delteil   

    ill. Mathurin Méheut (1,3), François Flameng (2), & Ernest Gabard (4)

     

    Là règne un homme qu'on appelle le Paysan. Les Tranchées, c'est affaire de remueurs de terre, c'est affaire de paysans. C'est l'installation de la guerre à la campagne, dans un décor de travaux et de saisons. Les Tranchées, c'est le retour à la terre.
    En fait, il restait surtout des paysans dans les tranchées. A la mobilisation, tout le monde était parti gaiement. Se battre, le Français aime ça (pourvu qu'il y ait un brin de clairon à la cantonade). L'offensive, la Marne, la course à la mer, un coup de gueule dans un vent d'héroïsme : ça va, ça va ! Avec un sou d'enthousiasme, on peut acheter cent mille hommes. Mais après les grandes batailles, dès qu'on s'arrêta, lorsque vint l'hiver avec ses pieds gelés, et la crise des munitions aidant, l'occasion, la chair tendre, les malins se débinèrent. Chacun se découvrit un poil dans les bronches, un quart de myopie, et d'ailleurs une vocation chaude, une âme de tourneur. Les avocats plaidèrent beaucoup pour l'artillerie lourde. Les professions libérales mirent la main à la pâte. Ce fut un printemps d'usines.

    Le paysan, lui, resta dans les Tranchées.

    Il se tient là, dans son trou, tapi comme ces blaireaux, ces fouines qu'il connaît bien. Creuser le sol, ça le connaît, n'est-ce pas ! Il creuse, de Dunkerque à Belfort, des lignes profondes. De l'époque des semailles jusqu'au mois des moissons, il creuse. A l'heure où le raisin mûrit, à l'heure où le colza lève, il creuse. Il creuse, dans la longue terre maternelle, des abris comme des épouses, des lits comme des tombes. Chaque tranchée est un sillon, et chaque sape un silo. Ces boyaux, ils sentent la bonne cave. Mille souvenirs champêtres fleurissent dans les entonnoirs. La terre est une grande garenne. Les copains soufflent comme des vaches à l'étable. Le flingot a un manche de fourche. Et toutes ces armes industrielles, ces engins nouveaux comme des étoiles, ces crapouillots à quatre pattes, ces lance-mines et ces tas d'obus fauves, tout a un grand air animal, un air d'animaux à cornes. La lune est toujours la lune des prairies. Il y a un merle sur une gueule de canon. De la pluie, de la pluie qui fait germer les avoines. Et le vent des tuiles passe sur les hommes de chair.

    extraits des Poilus (1926), , Grasset

     

     


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  • texte pénélope corps                                                             ill. jlmi 2017

     

     

    Je me souviens de cette fille au lycée

    Violette

    ceinture dorée

    collants troués

    toujours un petit miroir à portée de main

    captée par tous les discours

    amatrice d’étiquettes

    c’est rassurant au fond elle disait

    d’être une petite salope

    un bon remède à l’anonymat

    un bon moyen de ne pas disparaître

     

    elle voulait tout

    mais trouvait pas souvent

    elle enchaînait

    les plans galère

    les plans cul

    les plans sans rien derrière

    avec l’école la police les mecs

    c’étaient les meilleurs moments de sa vie il paraît

    et elle dessinait ça au compas à l’intérieur de ses cuisses

    elle pouvait pas être parfaite

    alors elle visait l’abjection Violette

     

    des fois dans les toilettes

    elle faisait des crises

    elle tombait d’un coup

    et se crispait à en devenir laide

    au point que personne voulait voir ça

    à ce point-là

    un jour le SAMU l’a emmenée

    alors on l’a revue au crématorium Violette

    enfin juste ceux qui voulaient 

    et sa mère n’était pas là

    on n’a jamais su pourquoi

     

     


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  • texte Wezrner Lambersy                                                     photo Coraline Simon

     

    Tu n’es pas là

    Je sais mais ton absence

    Pèse

    Et ton parfum s’obstine

     

    C’est comme un appareil

    Qui ne sonne pas

    Un pull où l’on boutonne

    Le lundi au dimanche

     

    Quelque chose ne va pas

    Mais le monde

    Persévère dans sa ronde

     

    Du petit plomb de chasse

    Troue mon souffle

    Un scaphandrier

    Longe les coraux de l’air 

     

    Tu n’es pas là !

    Mais quoi de toi reste si

    Proche qu’il

    N’y a qu’un fil de  pelote

    A tirer pour

     

    Que les fenêtres cessent

    De tricoter de la solitude

     

     in Titres de Transports

     

     

     

     


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