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    texte de bruno toméra                                            ill. pascal ulrich 1997

     

     

     

    Des humains, j'en ai puisé deux amis
    c'est peu et énorme mais se donner
    en pâture demande une ouverture
    que j'ai condamné après que l'un
    d'eux repliant son extrait de naissance
    a tiré sa révérence d'un coup de lassitude avancée.
    Le slalom universel nécessite des entre-chats
    je sais si peu danser ou sur la corde raide
    me sentant plus à l'aise.
    Décalquer les traits d'une figure quand accessoirement
    tout vous parait vain est une prouesse de comédien,
    entendre les mots cent mille fois interprétés, fatigue,
    au lever du rideau l'impression du scénario est inchangé.
    Le maquillage de la séduction souvent se liquéfie
    sur le visage d'un clown triste le fard dégoulinant
    vers le pathétique enduit de la tête au pied.
    Les envolées émerveillées m'inclinent à rigoler au bout
    de quelques minutes si elles ne sont honnêtes, deviennent
    des habitudes fripées brandies d'un creux chapeau de magicien.
    L'amour, l'amitié sont des espaces non fléchés
    où le silence n'a nul besoin d'être meublé.

     

     


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  • plus fort que le blizzard.jpg

    texte de Anna de Sandre                                                               ill.jlmi 2017



    Au commencement,
    J’ai mal pris
    Les fatigues de Maman :
    Quand je rentrais
    De l’école,
    Elle faisait toujours la sieste,
    Mais Papa la regardait
    Comme s’il voulait la dessiner.

    Un jour, il y a eu de la gêne
    Sur le visage de Papa,
    Et j’ai dû céder ma chambre
    Qu’il a repeinte
    En une semaine,
    Puis décorée en un week-end.

    C’est qu’au printemps
    Étaient tombées
    D’incroyables giboulées –
    Une bille de glace
    S’était logée
    Dans le ventre de Maman.

    Elle est ronde
    Et même énorme :
    Dedans il y a
    Un petit bonhomme
    Qui attend le bon moment
    Pour nous faire fondre
    Et prendre ma place.

    paru dans la revue Nouveaux Délits n°56

     


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  • carver palourde verticaleB&W.jpgtexte de raymond carver                                                           ill. jlmi  2014
     
     

    Je ne sais comment ni pourquoi

    ça m’est revenu. Mais je me suis mis à y penser

    juste après que Robert ait appelé

    me disant qu’il arrivait dans quelques minutes

    pour qu’on aille aux palourdes.

     

    C’était mon premier boulot et je travaillais

    sous les ordres d’un dénommé Sal.

    Cinquante et quelques années, et

    simple magasinier comme moi.

    Parti de rien il était

    arrivé à pas grand-chose. Mais content

    d’avoir un boulot, comme moi.

    Il connaissait les rayons du magasin

    comme sa poche et il voulait bien

    m’apprendre. J’avais seize ans, je travaillais

    pour des clopinettes mais j’étais heureux

    comme ça. Sal m’a transmis

    son savoir. Il était patient

    mais faut dire aussi, je pigeais vite.

     

    Mon plus grand souvenir

    de cette période : quand on ouvrait

    les cartons de lingerie féminine.

    Les culottes et autres petits machins

    moulants. Quand on les sortait du carton

    par poignées. Déjà à l’époque,

    il s’en dégageait quelque chose

    de magnifique et de

    mystérieux. Sal appelait ça

    « Les dessou-ous », « les dessou-ous ? »

    Je le croyais sur parole. Alors pendant un temps

    moi aussi j’ai appelé ça : « Les dessou-ous. »

     

    Puis j’ai vieilli. Je n’étais plus

    magasinier. Et j’ai commencé à prononcer

    correctement ce mot français.

    Je savais de quoi je parlais !

    J’avais commencé à sortir avec des filles

    dans l’espoir de faire descendre leurs petites culottes,

    de toucher ce tendre petit morceau de soie.

    Et quelques fois ça marchait. Seigneur, oui,

    elles me laissaient faire. Et leurs culottes

    elles étaient vraiment dessou-ous.

    Tout en dessous, collées à la peau blanche,

    et elles glissaient lentement le long du ventre,

    les long des hanches et des fesses,

    et des superbes cuisses, glissaient un peu

    plus rapidement à hauteur des genoux

    puis des mollets ! Atteignaient les chevilles

    réunies pour cette occasion. Et tombaient enfin

    sur le plancher de la voiture où

    on les oubliait. Jusqu’au moment où

    il fallait les chercher à tâtons.

     

    « Les dessou-ous »

     

    Ces adorables filles !

    « Le chat s’est caché là-dessous. »

    Robert et ses gosses et moi

    là sur la plage

    avec les seaux et les pelles.

    Les gosses ne mangent pas de palourdes.

    Il n’arrêtent pas de faire des « Beurk »

    ou des « bouah » en voyant les coquillages

    dans la pelle pleine de sable,

    avant qu’on les jette dans le seau.

    Et moi qui ne cesse de penser à Yakima.

    Aux sous-vêtements soyeux,

    aux dessous qu’elles portaient en dessous

    Jeanne et Rita, Muriel, Sue et sa sœur,

    Cora Mae. Toutes ces filles.

    Des grandes personnes maintenant. Ou pire.

    Disons-le : des mortes.

     

     in  là où les eaux se mêlent     ed l'incertain  1993

     

     


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  • l'oeil & la plume... le rêve n

    texte de astrid manfredi  2016                                edward hopper   11am  1926

     

     

    Il est tôt. Le crépuscule du matin. Ma vie se faufile entre les ombres. Mon cœur bat lentement décidé à prendre du repos. Je n’en perçois plus le va-et-vient. Peut-être s’est-il arrêté sans que je m’en aperçoive ? Morte vivante. Il fait froid dans la chambre d’hôtel. C’est l’hiver. C’est New-York. Les néons sont insomniaques. Les tours sont emmitouflées d’acier et de verre.  On dirait qu’elles pleurent. Pas un chat dans l’impasse de l’aube. J’ai chaud aux pieds. Je n’ai pas oublié mes chaussons. Prendre soin de mes extrémités. J’ai envie de pleurer mais ça ne sort pas. C’est un chagrin compact, ancien, sec comme un vieux morceau de Corned-beef. J’ai pris du poids. Un bourrelet disgracieux sur l’abdomen, de la cellulite sur les cuisses. Trop de tout. De graisse, de sucre, de vide. Le tissu du fauteuil miteux où je suis installée me pique les fesses. J’ai la flemme de changer de place. Au moins est-il est face à la fenêtre. Je pense à maman. A sa maladie. A ce truc dans son ventre qui la ronge. Parait que c’est héréditaire. Ce n’est pas gai les gènes. J’attends le lever du soleil. J’attends le bruit du camion qui livre le lait. Il est 5h30 du matin. Je n’ai plus de frissons.  Les chansons mentent. Je pense à demain, à ce nouveau boulot.  Hôtesse de jour. Sourire, rouge à lèvres, tailleur cintré. Pas envie d’être aimable. Je sens le poids de mes cheveux. Ils sont épais et roux, comme ceux d’une irlandaise. Est-ce que je suis irlandaise ? Est-ce que mes ancêtres arpentaient la lande pour se rendre à la messe ? Non je ne crois pas. Je ne sais pas d’où je viens. A quoi bon ? J’ai envie d’un café. Un costaud bien serré qui met l’estomac en vrac. J’aperçois un type, il siffle, c’est le livreur de journaux. Il a l’air heureux de porter ses mauvaises nouvelles. Que cette chambre est moche. Que cette ville fait du bruit pour assourdir l’épouvante des âmes. J’ai envie d’une fenêtre qui s’ouvre sur la mer. Je veux du cobalt. Oh un oiseau ! Il s’est posé sur le rebord d’une fenêtre mitoyenne. Il me toise de son œil jaune. Quel aplomb. Le même que tous ces types qui s’imaginent que je vais coucher gratis avec eux quand ils m’ont offert un verre. Il prend son envol et ses ailes se déploient sans envergure. C’est un oiseau des villes et il a compris qu’il n’était pas le bienvenu. Je crois que maman va mourir. J’ai peur. Peur du monde sans elle. Je suis nue. Elle m’embrasse, elle sent le tabac blond et la poudre de riz. Mes paupières sont lourdes comme le ciel. J’ouvre la fenêtre. Air de glace. C’est l’hiver. C’est New-York. Sauter …

     

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  • l'oeil & la plume... le cri d'une montagne

    texte de Vénus Khoury-Ghata                                                        ill. jlmi 2020

     

    Les pierres de ton jardin parlent plus haut que les passants
    elles se réclament d'une ascendance qui remonte à la première caverne
    quand deux silex détenaient le feu et qu'un vent pauvre
    balayait les ronces d'un alphabet atteint de surdité

    Les choses étant ce qu'elles sont
    Il suffit de serrer une pierre dans ta main pour vibrer
    avec la planète
    détecter la fronde d'un volcan
    le cri d'une montagne écroulée par une fourmi

     

    Merci cg !

     


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