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Par jlmi le 26 Mars 2020 à 00:36
texte de bruno toméra ill. pascal ulrich 1997
Des humains, j'en ai puisé deux amis
c'est peu et énorme mais se donner
en pâture demande une ouverture
que j'ai condamné après que l'un
d'eux repliant son extrait de naissance
a tiré sa révérence d'un coup de lassitude avancée.
Le slalom universel nécessite des entre-chats
je sais si peu danser ou sur la corde raide
me sentant plus à l'aise.
Décalquer les traits d'une figure quand accessoirement
tout vous parait vain est une prouesse de comédien,
entendre les mots cent mille fois interprétés, fatigue,
au lever du rideau l'impression du scénario est inchangé.
Le maquillage de la séduction souvent se liquéfie
sur le visage d'un clown triste le fard dégoulinant
vers le pathétique enduit de la tête au pied.
Les envolées émerveillées m'inclinent à rigoler au bout
de quelques minutes si elles ne sont honnêtes, deviennent
des habitudes fripées brandies d'un creux chapeau de magicien.
L'amour, l'amitié sont des espaces non fléchés
où le silence n'a nul besoin d'être meublé.
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Par jlmi le 25 Mars 2020 à 00:38
texte de Anna de Sandre ill.jlmi 2017
Au commencement,
J’ai mal pris
Les fatigues de Maman :
Quand je rentrais
De l’école,
Elle faisait toujours la sieste,
Mais Papa la regardait
Comme s’il voulait la dessiner.
Un jour, il y a eu de la gêne
Sur le visage de Papa,
Et j’ai dû céder ma chambre
Qu’il a repeinte
En une semaine,
Puis décorée en un week-end.
C’est qu’au printemps
Étaient tombées
D’incroyables giboulées –
Une bille de glace
S’était logée
Dans le ventre de Maman.
Elle est ronde
Et même énorme :
Dedans il y a
Un petit bonhomme
Qui attend le bon moment
Pour nous faire fondre
Et prendre ma place.paru dans la revue Nouveaux Délits n°56
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Par jlmi le 24 Mars 2020 à 00:30texte de raymond carver ill. jlmi 2014
Je ne sais comment ni pourquoi
ça m’est revenu. Mais je me suis mis à y penser
juste après que Robert ait appelé
me disant qu’il arrivait dans quelques minutes
pour qu’on aille aux palourdes.
C’était mon premier boulot et je travaillais
sous les ordres d’un dénommé Sal.
Cinquante et quelques années, et
simple magasinier comme moi.
Parti de rien il était
arrivé à pas grand-chose. Mais content
d’avoir un boulot, comme moi.
Il connaissait les rayons du magasin
comme sa poche et il voulait bien
m’apprendre. J’avais seize ans, je travaillais
pour des clopinettes mais j’étais heureux
comme ça. Sal m’a transmis
son savoir. Il était patient
mais faut dire aussi, je pigeais vite.
Mon plus grand souvenir
de cette période : quand on ouvrait
les cartons de lingerie féminine.
Les culottes et autres petits machins
moulants. Quand on les sortait du carton
par poignées. Déjà à l’époque,
il s’en dégageait quelque chose
de magnifique et de
mystérieux. Sal appelait ça
« Les dessou-ous », « les dessou-ous ? »
Je le croyais sur parole. Alors pendant un temps
moi aussi j’ai appelé ça : « Les dessou-ous. »
Puis j’ai vieilli. Je n’étais plus
magasinier. Et j’ai commencé à prononcer
correctement ce mot français.
Je savais de quoi je parlais !
J’avais commencé à sortir avec des filles
dans l’espoir de faire descendre leurs petites culottes,
de toucher ce tendre petit morceau de soie.
Et quelques fois ça marchait. Seigneur, oui,
elles me laissaient faire. Et leurs culottes
elles étaient vraiment dessou-ous.
Tout en dessous, collées à la peau blanche,
et elles glissaient lentement le long du ventre,
les long des hanches et des fesses,
et des superbes cuisses, glissaient un peu
plus rapidement à hauteur des genoux
puis des mollets ! Atteignaient les chevilles
réunies pour cette occasion. Et tombaient enfin
sur le plancher de la voiture où
on les oubliait. Jusqu’au moment où
il fallait les chercher à tâtons.
« Les dessou-ous »
Ces adorables filles !
« Le chat s’est caché là-dessous. »
Robert et ses gosses et moi
là sur la plage
avec les seaux et les pelles.
Les gosses ne mangent pas de palourdes.
Il n’arrêtent pas de faire des « Beurk »
ou des « bouah » en voyant les coquillages
dans la pelle pleine de sable,
avant qu’on les jette dans le seau.
Et moi qui ne cesse de penser à Yakima.
Aux sous-vêtements soyeux,
aux dessous qu’elles portaient en dessous
Jeanne et Rita, Muriel, Sue et sa sœur,
Cora Mae. Toutes ces filles.
Des grandes personnes maintenant. Ou pire.
Disons-le : des mortes.
in là où les eaux se mêlent ed l'incertain 1993
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Par jlmi le 22 Mars 2020 à 00:13
texte de astrid manfredi 2016 edward hopper 11am 1926
Il est tôt. Le crépuscule du matin. Ma vie se faufile entre les ombres. Mon cœur bat lentement décidé à prendre du repos. Je n’en perçois plus le va-et-vient. Peut-être s’est-il arrêté sans que je m’en aperçoive ? Morte vivante. Il fait froid dans la chambre d’hôtel. C’est l’hiver. C’est New-York. Les néons sont insomniaques. Les tours sont emmitouflées d’acier et de verre. On dirait qu’elles pleurent. Pas un chat dans l’impasse de l’aube. J’ai chaud aux pieds. Je n’ai pas oublié mes chaussons. Prendre soin de mes extrémités. J’ai envie de pleurer mais ça ne sort pas. C’est un chagrin compact, ancien, sec comme un vieux morceau de Corned-beef. J’ai pris du poids. Un bourrelet disgracieux sur l’abdomen, de la cellulite sur les cuisses. Trop de tout. De graisse, de sucre, de vide. Le tissu du fauteuil miteux où je suis installée me pique les fesses. J’ai la flemme de changer de place. Au moins est-il est face à la fenêtre. Je pense à maman. A sa maladie. A ce truc dans son ventre qui la ronge. Parait que c’est héréditaire. Ce n’est pas gai les gènes. J’attends le lever du soleil. J’attends le bruit du camion qui livre le lait. Il est 5h30 du matin. Je n’ai plus de frissons. Les chansons mentent. Je pense à demain, à ce nouveau boulot. Hôtesse de jour. Sourire, rouge à lèvres, tailleur cintré. Pas envie d’être aimable. Je sens le poids de mes cheveux. Ils sont épais et roux, comme ceux d’une irlandaise. Est-ce que je suis irlandaise ? Est-ce que mes ancêtres arpentaient la lande pour se rendre à la messe ? Non je ne crois pas. Je ne sais pas d’où je viens. A quoi bon ? J’ai envie d’un café. Un costaud bien serré qui met l’estomac en vrac. J’aperçois un type, il siffle, c’est le livreur de journaux. Il a l’air heureux de porter ses mauvaises nouvelles. Que cette chambre est moche. Que cette ville fait du bruit pour assourdir l’épouvante des âmes. J’ai envie d’une fenêtre qui s’ouvre sur la mer. Je veux du cobalt. Oh un oiseau ! Il s’est posé sur le rebord d’une fenêtre mitoyenne. Il me toise de son œil jaune. Quel aplomb. Le même que tous ces types qui s’imaginent que je vais coucher gratis avec eux quand ils m’ont offert un verre. Il prend son envol et ses ailes se déploient sans envergure. C’est un oiseau des villes et il a compris qu’il n’était pas le bienvenu. Je crois que maman va mourir. J’ai peur. Peur du monde sans elle. Je suis nue. Elle m’embrasse, elle sent le tabac blond et la poudre de riz. Mes paupières sont lourdes comme le ciel. J’ouvre la fenêtre. Air de glace. C’est l’hiver. C’est New-York. Sauter …
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Par jlmi le 21 Mars 2020 à 00:45
texte de Vénus Khoury-Ghata ill. jlmi 2020
Les pierres de ton jardin parlent plus haut que les passants
elles se réclament d'une ascendance qui remonte à la première caverne
quand deux silex détenaient le feu et qu'un vent pauvre
balayait les ronces d'un alphabet atteint de surditéLes choses étant ce qu'elles sont
Il suffit de serrer une pierre dans ta main pour vibrer
avec la planète
détecter la fronde d'un volcan
le cri d'une montagne écroulée par une fourmiMerci cg !
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